3Désenchantement
On ne naît pas étranger, on le devient. Si l’art a souvent magnifié le noble étranger tel Ulysse, il reste que les migrations contemporaines sont le plus souvent celles de sujets maudits, sans cesse renvoyés aux pièges tendus par les États-nations dominants. Les obsessions sécuritaires créent les hallucinations de « l’étrange étranger » qui ne peut être des nôtres car il a été rendu différent. La différence confortée par les peurs engendre les terreurs et les guerres. Il semble bien que l’étranger soit désormais le mot dans lequel loger toutes les figures de la dangerosité. L’espace qu’il remplit est l’espace de l’hostilité, une lande indéfinie, une entrée-sortie sans avenir, un dedans-dehors permanent.
Être hospitalier n’est-ce pas pourtant montrer à quelqu’un qu’il est persona grata ? La bienvenue est le contraire d’une malvenue. L’expression est en usage chez les diplomates, elle signifie qu’un agent diplomatique a obtenu l’agrément de son propre État ou d’un État-tiers qui l’accrédite car il est désirable. Par contraste, persona non grata signifie être fait indésirable, ne plus avoir les moindres faveurs de quelque État que ce soit.
Et si la diplomatie disait tout haut ce que signifie la langue grise de l’inhospitalité ? Il se pourrait que les campements contemporains, les jungles solidifiées ne soient que l’autre nom de persona non grata. La pulsion de murs, aujourd’hui, semble totale. Un archipel carcéral se dessine, se greffe sur les paysages de lande. Combien de vies oubliées dans des habitations précaires, combien de vies désarrimées du monde commun ?