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Photographe sensible. Bruno Boudjelal. Portrait et interview.

Bruno Boudjelal est photographe à l'agence Vu. Né à Montreuil d'un père algérien et d'une mère française, son histoire familiale est chaotique. Après des études de géographie et quelques années passées comme guide en Asie du Sud-Est, il éprouve le besoin d'aller sur les traces de ses racines en Algérie et choisit la photographie comme medium d'approche. Son premier voyage déterminera sa pratique photographique.

Image
Mon grand-père Amar (Algérie) © Bruno Boudjelal
Mon grand-père Amar (Algérie) © Bruno Boudjelal
Bruno Boudjelal. Le patronyme laisse déjà entrevoir une partie de l'histoire. Mère française, père algérien, ce photographe est né à Montreuil en 1961. Arrivé tardivement à son art, il est passé, en 2001, du noir et blanc à la couleur, “domaine dans lequel il manque de grands travaux”. Sa méthode, elle, est restée la même depuis ses débuts : pas de cadrage et l'utilisation d'appareils photos non professionnels. Des pratiques influencées par son premier voyage en Algérie, en mai 1993. Le pays est en proie aux plus terribles violences, la rue est un espace dangereux, impossible d'y prendre des photos. Pour rester discret, Bruno Boudjelal utilise un boîtier amateur, ne regarde jamais dans le viseur mais oriente l'appareil de manière presque instinctive. Sa technique est née.
Quand à 32 ans, Bruno Boudjelal, débarque en Algérie, il n'a jamais fait de photo. Jusque là, et après des études de géographie, il a travaillé comme guide en Asie du Sud-Est. “Je n'avais aucune culture de l'image mais pour moi, la photo était liée à la tradition du reportage dans les zones de conflit. A ce moment là, hasard ou pas, l'Algérie était en guerre. J'y suis allé.” Le jour de son arrivée, il manque de mourir par deux fois et voit des gens se faire tuer. “Je ne savais pas ce que je faisais là mais je sentais qu'il fallait que je reste.”

Voyage initiatique
Avec ce voyage, Bruno Boudjelal va aussi à la rencontre de son histoire et de sa double culture. Son père a quitté l'Algérie au milieu des années 50, n'a plus jamais donné de nouvelles à sa famille et a totalement occulté son passé. Malgré le silence de son père qui refuse de l'aider, Bruno Boudjelal retrouve sa famille. “Il n'a jamais compris ma démarche qui le renvoie à tout ce à quoi il veut échapper : ses origines.” De retour en France, il publie certains clichés dans la presse nationale et obtient, en 1994, une bourse grâce à laquelle il mène un travail sur la communauté turque de Bordeaux. Quelques mois plus tard, il est engagé par la célèbre agence Sipa qu'il quitte assez vite. De 1995 à 1997, il reprend son emploi de guide en Asie.
En 1997, de passage à Paris, il convainc son père de retourner dans son pays. Ensemble, ils font deux voyages, sortes de parenthèses de vérité et de communication dans l'incompréhension qui les lie désormais. Au total, Bruno Boudjelal a effectué une quinzaine de séjours en Algérie qu'il a parcourue d'est en ouest, durant dix ans. Au fur et à mesure, une œuvre photographique, qu'il va bientôt publier sous forme d'ouvrage, a pris forme. “C'est la superposition de toutes ces images qui crée du sens.” Mais le rapport au pays reste ambigu. Si Bruno Boudjelal accepte de représenter l'Algérie aux Rencontres photographiques de Bamako en 2003, la même année il refuse de participer à l'Année de l'Algérie en France. “Ce qui s'est passé dans ce pays n'est pas aussi simple que ce qu'on veut nous faire croire. Je ne suis ni un grand militant ni un grand résistant, mais pour moi, un artiste doit prendre position. J'ai voulu montrer mon désaccord avec le gouvernement.”

Se retourner pour avancer
Aujourd'hui, Bruno Boudjelal est membre de l'agence Vu. Un choix qui s'explique par la possibilité d'une approche très personnelle et documentaire des sujets. “Plus que des photographes, l'agence regroupe des auteurs. Je ne crois pas à l'objectivité d'un travail. Ma pratique de la photo est totalement subjective et liée à mon parcours.” En effet, quel que soit le thème abordé, les femmes en banlieues ou les sans papiers, c'est toujours sur l'altérité que le photographe pose un regard sensible. Actuellement, il évolue dans des territoires qui lui sont familiers : la banlieue parisienne, “un travail d'errance et de rencontres, non pas dehors, ni dedans mais sur les bords” et l'Afrique qu'il traverse du nord au sud en dix étapes, “encore une fois, je me retrouve sur les routes de l'immigration”.

Revenir au pays des origines pour envisager plus sereinement l'avenir, Bruno Boudjelal en a fait l'expérience : “il a fallu que j'aille là-bas pour avancer dans ma vie professionnelle mais aussi personnelle. Avant de renouer avec ma famille algérienne, il m'était impossible d'être père. Aujourd'hui, j'ai une fille de quatre ans”. Mais l'homme insiste aussi sur la responsabilité de chacun dans la construction de son identité :“c'est aux gens de faire le nécessaire pour lever le voile sur les silences de l'Histoire et des histoires familiales, pour se les réapproprier. Ce travail est douloureux mais il nous revient de le mener sans se laisser dicter ou expliquer d'où on vient ni qui on est”. Ayant reconstruit le puzzle de sa vie, Bruno Boudjelal accepte désormais tous les qualificatifs qu'il est possible d'accoler au mot photographe : “français”, “ français issu de l'immigration” et “algérien”.

Interview
- Comment la photographie vous a-t-elle amené à faire votre premier voyage en Algérie et à renouer les liens avec votre famille sur place ?
- Parlez-nous des deux voyages effectués en Algérie avec votre père...

Interview de Bruno Boudjelal par Maya Larguet, 2006
Fichier audio

 

[Maya Larguet]