6Sur la vague des Trente Glorieuses
Cinquième partie
Au sortir de la guerre, Picasso construit son mythe. En 1948, à la suite de son généreux don de dix tableaux aux collections publiques françaises, il reçoit une lettre du préfet de police de Paris lui accordant le statut de « résident privilégié », renouvelable tous les 10 ans. Un à un, les musées français commencent à le célébrer : musée des Beaux-Arts de Lyon (1954), musée des Arts Décoratifs de Paris (1955), Grand Palais, Petit Palais et Bibliothèque nationale de France, qui organisent conjointement un somptueux Hommage à Picasso (1966).
En 1955, Picasso s’installe pour toujours dans le Midi. Successivement à Antibes, Golfe-Juan, Cannes, Vauvenargues, Mougins, dans un pays alors excessivement centralisé, Picasso décide une fois de plus d’aller à contre-courant, choisissant le Sud contre le Nord, la région contre la capitale, les artisans contre l’Académie des beaux-arts.
Le PCF comme une patrie
En octobre 1944, L’Humanité annonce l’adhésion de Picasso au parti communiste français qui, au sortir de l’Occupation, se présente comme « le parti des fusillés » (avec plus de 800 000 adhérents). « J’avais tellement hâte de retrouver une patrie ! », déclare l’artiste au quotidien du parti (29-30 octobre 1944). « J’ai toujours été un exilé. Je ne le suis plus. En attendant que l’Espagne puisse enfin m’accueillir, le parti m’a ouvert les bras […] et je suis de nouveau parmi mes frères ». Si Picasso se rallie officiellement à la cause communiste, c’est qu’il pressent très vite que cette adhésion remplira pour lui en France une triple fonction de passeport, de tremplin, de bouclier. Il va intégrer le camp des héros, avec éclat et générosité, tout en conservant sa totale liberté d’expression.
Le choix du Sud pour un résident privilégié
Pendant l’été 1946, le conservateur du Château Grimaldi à Antibes offre à Picasso une grande salle au 2e étage pour en faire son atelier. A la même époque, l’artiste découvre la ville de Vallauris, où il sera initié aux onze manières traditionnelles pour cuire et émailler la terre. Devenu résident de ce bourg de potiers, Picasso s’impose très vite comme maître céramiste. L’apprenti devient leader et même « acteur-organique » de Vallauris, à laquelle il offre sa statue L’Homme au mouton en 1949. L’artiste en gloire septuagénaire puis octogénaire s’engage dans des expérimentations vertigineuses et exaltantes avec de très jeunes artistes ou artisans locaux, parmi lesquels le linograveur Hidalgo Arnéra, le spécialiste de découpage de feuilles d’acier Lionel Prejber ou le réalisateur Henri-Georges Clouzot.
Artiste en gloire, chef de tribu méditerranéenne
À partir de 1955, Picasso acquiert trois résidences dans le Midi : la Villa La Californie à Cannes, le Château de Vauvenargues en Provence, le mas Notre Dame de Vie à Mougins. Il occupe ces demeures parfois simultanément, parfois successivement, mais les utilise surtout pour stocker documents, collections, souvenirs et œuvres accumulés au cours de sa très longue et très productive existence. Il continue de dialoguer avec les maîtres, tout en offrant généreusement ses œuvres aux musées du territoire français qui s’adressent à lui et en construisant son image d’artiste global dans le monde occidental. Avec la loi sur les dations votée en 1968 à l’initiative d’André Malraux, qui énonce que « tout héritier [...] peut acquitter les droits de succession par la remise d’œuvres d’art [...] de haute valeur artistique », l’Etat français intégrera, in extremis et avec éclat, l’œuvre de Picasso à sa propre histoire.