La Cour nationale du droit d’asile en débat
Centré d’abord sur l’accueil des dissidents des pays communistes puis des exilés des dictatures sud-américaines, les travaux de la Cour national du droit d’asile (CNDA) reflètent les évolutions du monde contemporain. Originaires de plusieurs continents, les requérants qui contestent le refus émis par l’Ofpra, fuient des conflits armés, des dictatures, des violences intercommunautaires, ethniques ou religieuses, mais aussi des situations de vulnérabilités (femmes et enfants en premier lieu). La mission de la CNDA – protéger les demandeurs d’asile – se mène dans un contexte national qui fait de la « maitrise des flux » le socle des politiques migratoires, y compris en matière de droit d’asile. Évolution que traduit le durcissement des décisions de l’Ofpra depuis les années 2000, partant le nombre de recours formé auprès de la CNDA.
Une juridiction particulière
C’est un exercice difficile que de devoir juger de la véracité du récit d’un homme ou d’une femme en quête de protection. Se tromper peut sceller un destin, condamner à l’errance sur « le chemin des morts » ou, a contrario, rendre à la vie. « Je me suis demandé depuis, presque chaque jour, si j’aurais pu rédiger autre chose que ce que j’avais écrit » demande François Sureau – ci-devant rapporteur à la CNDA - à propos d’une décision prise qui n’a cessé de le hanter. « L’indifférence » serait une faute impardonnable dans cette Cour particulière où s’immiscent les incertitudes, individuelles notamment, la jurisprudence parfois inadaptée et les velléités politiques qui, lorsqu’elles font du droit d’asile une variable des politiques migratoires, le détournent de sa raison d’être.
Juge assesseur de 1999 à 2014, le sociologue Smaïn Laacher s’est aussi interrogé : « comment faire croire à l’incroyable à des juges qui peinent à comprendre le requérant ? ». Il montre, à son tour, la complexité d’une juridiction travaillée par les interactions entre jugements moraux et raisonnement en droits, les différences de point de vue, de formations, de connaissances des contextes sociaux, géopolitiques au fondement des recours, des conceptions de la souveraineté nationale, la part aussi de suspicion, face à des demandeurs d’asile qui tentent de faire valeur un droit, plutôt que de demander une faveur.
Territorialisation et recours accru aux audiences par visio-conférence
Actuellement, tous les recours devant la CNDA sont jugés à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Comme pour l’Ofpra avec la création de « pôles territoriaux labellisés Espace France Asile », le projet de loi Darmanin envisage de territorialiser les audiences de la CNDA en région, au sein des Cours administratives d’appel. L’objectif serait de simplifier les procédures, de raccourcir les délais et de rapprocher la justice des requérants.
Les premiers éléments critiques du débat public interrogent la capacité des cours administratives d’appels à maitriser l’ensemble des dossiers et apprécier « des situations géopolitiques complexes » exigeant « une parfaite connaissance des enjeux » (CNDA, Rapport d'activité 2021), quand la CNDA est doté de chambres spécialisées par zone géographique et de l’expertise des assesseurs et des rapporteurs. Concomitamment, se poserait la question des formations, des connaissances et de la sensibilisation aux questions migratoires et exiliques, à l’identification des psychotraumatismes et des phénomènes de mémoire traumatique nés des violences subies par les requérants. Par ailleurs, une logique technocratique ne risque-t-elle pas d’incliner à « l’indifférence » et de favoriser le « punir » sur le « protéger » ?
Autre question posée dans l’hypothèse d’une territorialisation des audiences : quid de la présence d’un interprète – y compris pour les langues rares - lors de l’audience ? Cette présence - physique et non à distance, en visio ou par téléphone - sera-t-elle garantie ? Faudra-t-il faire venir un interprète par dossier traité quand, aujourd’hui, un interprète peut intervenir sur plusieurs dossiers, et ce à la fois dans le cadre des audiences de l’Ofpra et de la CNDA, proches géographiquement ?
Disperser sur plusieurs sites l’ensemble des activités et services nécessaires à l’administration d’une bonne justice (greffe, aide juridictionnelle, service de l’interprétariat, centre de documentation, rapporteurs etc.) sera-t-il compatible avec le souci d’économies budgétaires ? Quid aussi du souci d’une plus grande proximité géographique du requérant et de la justice, quand, dans le même temps, une extension des audiences en visioconférence est projetée ?
Généralisation du juge unique
Le gouvernement souhaite généraliser les audiences avec un juge unique et réduire les jugements en formation collégiale (59,11% des décisions en 2021). Pour nombre d’observateurs et d’acteurs de terrain, dans le cadre d’un jugement où les manifestations de la vérité se mêlent à l’intime conviction des magistrats, la collégialité garantirait l’expression et l’échange d’une diversité de points de vue ce qui ne ferait que consolider le droit d’asile et la qualité de la justice rendue.
Par ailleurs, si de manière générale, le principe de collégialité des juridictions recule, il reste encore la règle pour les affaires importantes : l’asile devrait-il échapper à cette règle ?
L’annonce de la généralisation du juge unique a fait naitre une autre inquiétude : le risque accru d’erreurs judiciaires en raison du nombre de dossiers à traiter (13 par jour actuellement) et de la charge physique, psychique, émotionnelle des décisions à prendre par un seul et même juge. Une crainte renforcée par l’actuelle tendance à l’accélération des procédures, à la réduction des délais et à l’extension des visio-audiences.
Réduire les délais de jugement ?
Malgré la croissance du nombre des recours formés et la hausse du nombre d’affaire jugées, les délais moyens de jugement de la CNDA tendent à diminuer, passant de 9 mois et 10 jours en 2018 à 7 mois et 8 jours en 2021, un temps bien inférieur à ceux des autres cours administratives d’appel où le délai moyen qui sépare le dépôt d'une requête de son jugement se situe entre un et deux ans et demi selon le contentieux soumis à la juridiction… Il n’y aurait donc pas de dérive ni de raison d’accélérer plus avant les procédures - d’autant que la réduction des délais de jugement incombe en partie à la croissance des décisions rendues par ordonnances (30% des dossiers), c’est-à-dire sans audience, au grand dam des avocats.
Mustapha Harzoune, janvier 2023
Sources :
- Smaïn Laacher, Croire à l’incroyable. Un sociologue à la Cour nationale du droit d’asile, Gallimard, 2018.
- François Sureau, Le chemin des morts, Gallimard, 2013.
- Jacques Toubon, Je dois vous dire. Nos droits sont en dangers, éd.Stock 2022.
- CNDA, Rapport d’activités 2021.