Politique et immigration

Qu'est-ce qu'une OQTF (obligation de quitter le territoire français) ?

L’obligation de quitter le territoire français ou OQTF (loi du 24 juillet 2006) est la mesure la plus usitée dans l’arsenal d’éloignement des étrangers - avant l’expulsion et la reconduite à la frontière. Elle concerne les étrangers présents sur le territoire national depuis plus de trois mois et visés par un refus de séjour (non renouvellement ou refus de délivrance de la carte de séjour ou d’une autorisation provisoire de séjour - APS, débouté du droit d’asile), en situation illégale (entrée irrégulière, validité du visa dépassée, contrôle de police…) ou présentant une menace pour l’ordre public. L’étranger peut être placé en centre de rétention administrative ou assignée à résidence.

Si l’OQTF peut être exécutoire sans délai, l’étranger dispose généralement de 30 jours pour quitter le territoire. L’OQTF mentionne le pays où il devra être renvoyé s’il ne quitte pas le territoire national de son propre chef et dans les délais fixés. L’étranger peut contester l’OQTF auprès du tribunal administratif (le recours est alors suspensif), ou devant un juge des libertés et de la détention dans le cas où il est retenu dans un centre de rétention.

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Diane Grimonet, Les sans-papiers en France (titre de la série), Devant la préfecture de Paris, 1998
Devant la préfecture de paris, les CRS ont embarqué 80 manifestants venus protester contre l'interpellation de sans-papiers placés en centre de rétention. Photographie de Diane Grimonet, issue de la série Les sans-papiers en France, 1998, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2020.16.4
© EPPPD-MNHI, Diane Grimonet

Taux d'exécution

Entre 2012 et 2021, le taux d'exécution des OQTF, qui porte sur l’ensemble des OQTF prononcées, n’a cessé de diminuer, atteignant même un taux inférieur à 10 % depuis la crise sanitaire de la Covid. Le taux d'éloignement des étrangers placés en centre de rétention administrative (CRA) se situe en dessous des 45% - il devrait s'élever à 44,7 % au premier semestre 2022 (Sénat, Projet Loi de finance 2023). Ce taux concerne les seuls étrangers retenus en CRA qu’ils soient retenus pour une OQTF (61,54%), une procédure Dublin (19,5%) ou autres.

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Schéma du taux d'exécutions des OQTF

Plusieurs explications sont avancées :

  • Le nombre de recours déposé et les annulations d’éloignement sur décision judiciaire (12,3 % en 2021 selon le rapport Buffet).
  • L’administration ne peut contraindre certains étrangers à quitter le territoire : mineur, conjoint de Français depuis au moins 3 ans, parent d’un enfant français, allocataire d’une rente d’accident du travail, nécessité de soins en France, attestation d’un séjour régulier depuis au moins dix ans…
  • Les effectifs et les moyens des forces de l'ordre interdisent de retrouver toutes les personnes expulsables.
  • Le refus des pays d’origine (Maroc, Tunisie, Algérie, Sénégal, Mali, Guinée, Côte d'Ivoire) de délivrer un laisser passer consulaire (document de voyage délivré à un ressortissant ne possédant plus de document d’identité afin de permettre son transport). Avec la délivrance du document nécessaire à l’application de l’OQTF, se pose aussi la question des délais : selon le rapport du sénateur Buffet (mai 2022), seuls 53 % des laissez-passer consulaires délivrés en 2021 l’ont été dans un délai utile à l’expulsion. Pour forcer ces gouvernements à mieux collaborer, la France peut décider de restreindre les visas délivrés à leurs ressortissants.

Lors de son audition le 2 novembre 2022 au Sénat, le ministre de l’Intérieur a relativisé la pertinence de cet indicateur en raison d’un « décalage temporel » entre l’émission des OQTF et leur exécution, en raison aussi des recours suspensifs déposés ou de la possibilité que certaines OQTF soient exécutées spontanément sans que les services de l’État en soient avisés. « Le résultat, alors, c’est plutôt 40 % d’OQTF exécutées, et non pas 6 %, comme on l’entend parfois dire ».

« Rendre impossible la vie des OQTF »

Dans une instruction du 17 novembre 2022, le ministre de l’Intérieur demande aux préfets « d’appliquer à l’ensemble des étrangers sous OQTF la méthode employée pour le suivi des étrangers délinquants » et de délivrer des OQTF de façon « systématique » à « tout étranger en situation irrégulière ». Il les invite à prendre le plus souvent possible des OQTF sans délai de départ volontaire (contre 30 jours aujourd’hui) ou d’assortir « aussi souvent que possible » l’OQTF d’une interdiction de retour sur le territoire. M. Darmanin demande aussi une inscription « systématique » des personnes sous OQTF au fichier des personnes recherchées.

« Pour rendre impossible la vie des OQTF en France » (France Inter, 27 octobre 2022), plusieurs mesures sont à l’étude  :

  • Prononcer une OQTF dès le rejet par l’Ofpra d’une demande d’asile.
  • Passer d’un à trois ans la durée pendant laquelle une OQTF permet l’assignation à résidence ou le placement en rétention.
  • Réduire à quinze jours le délai de départ volontaire de l’étranger.
  • Ramener de douze à quatre le nombre de recours administratifs et judiciaires.
  • « Lever les protections pour un certain nombre d’étrangers » et réactiver, par exemple, le système de la double peine (expulser un étranger condamné après qu’il ait purgé sa peine).

Une logique de suspicion ?

Le projet Darmanin vise à renforcer les mesures d’éloignement et accélérer les procédures, y compris en matière d’asile. Ainsi, une OQTF délivrée dès le premier refus prononcé par l’Ofpra, serait immédiatement applicable à l’issue la décision définitive de la CNDA. Or, depuis 2005, le taux d’annulation des décisions de l’Ofpra a varié entre 13 et 21,1%. Partant, les 15 112 personnes à qui la CNDA a accordé en 2021 le droit à une protection se seraient vues délivrer une OQTF avant même d’être entendues par la juridiction, altérant possiblement leurs conditions d’accueil, de ressources et de logement. En 2018, la loi Collomb stipulait déjà que, dès le rejet Ofpra, les étrangers originaires d’un pays considéré comme « sûr » perdent le droit au séjour et peuvent se voir délivrer une OQTF.

En durcissant les conditions du droit d’asile, les autorités publiques cherchent à limiter des « pratiques dilatoires » (E. Macron, discours aux Préfets, 15 septembre 2022) qui détourneraient la demande d’asile de son objectif initial. Diagnostiquée entre autres par Jacques Toubon, cette « logique de suspicion » qui procède des politiques de contrôle des flux migratoires, conduit à déprécier la parole de l’étranger.

Comparaison internationale

À partir des données Eurostat, le rapport Buffet a procédé à une estimation du taux d'exécution des OQTF dans cinq États membres de l'UE en 2019. Il en ressort trois enseignements : le nombre de mesures d'éloignement prononcées en France est supérieur à celui de ses partenaires européens, partant le taux d'éloignement est mécaniquement moins élevé, pour autant, en volume, la France réalise le plus d'éloignements contraints au sein de l'UE.

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Estimation du taux d'exécution des OQTF  dans 5 pays d'Europe

Pour 2021, Eurostat indique que la France a procédé à 11 630 retours, devant l'Allemagne (10 785), la Suède (9 270), la Grèce (6 880) et les Pays-Bas (3 105). Mais Berlin n'a prononcé que 31 515 décisions d'éloignement, contre 125 450 en France. Ainsi, le faible taux d’exécution en France dépend bien d’un trop plein d’OQTF prononcées, un « effet ciseau » qui voit le volume de mesures prononcées augmenter et celui des exécutions baisser, une situation qui conduit à un « sentiment de découragement et de perte de sens au sein de l'administration » (rapport Buffet). 

Mustapha Harzoune, janvier 2023

Sources :

  • Jacques Toubon, Je dois vous dire. Nos droits sont en dangers, éd. Stock 2022.
  • Projet de loi de finances pour 2023 : Immigration, asile et intégration rapport présenté, par Mme Muriel Jourda et M. Philippe Bonnecarrère, Sénat le 17 novembre 2022.
  • Retrouver sens et efficacité. Rapport d'information de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois n° 626 (2021-2022) - 10 mai 2022.
  • Eurostat
  • Ministère de l’Intérieur