Politique et immigration

Qu'est-ce que le droit du sol ?

L’article 21-7 du code civil stipule que « tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans. » Avant d’être un sujet de discussion, parfois de tension en matière de politique migratoire, le droit du sol, ou jus soli, est un principe juridique qui conditionne l’accès à la nationalité française. Il est au cœur de ce qu’être français veut dire : l’appartenance à la communauté nationale ne renvoie pas à la seule dimension ethnique mais aussi à la présence, à la culture, à la citoyenneté.

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Communauté des Tamouls Sri Lankais en France. Photographie prise le soir de la finale de la coupe du monde de football, le 12 juillet 1998, après la victoire de l'équipe de France, Jean-Michel Delage
Série photographique : Communauté des Tamouls Sri Lankais en France. Photographie prise le soir de la finale de la coupe du monde de football, le 12 juillet 1998, après la victoire de l'équipe de France, Jean-Michel Delage, Musée national de l’histoire de l’immigration, Inv 2007.063.004
© EPPPD-MNHI, Jean-Michel Delage

Le nombre d’acquisition de la nationalité française par déclaration anticipée (entre 13 et 17 ans, à partir de 18 ans l’acquisition est automatique) était de 29 340 en 2018, 30 041 en 2019, 20 826 en 2020, 32 727 en 2021 et 32 020 en 2022 représentant 28% du total des acquisitions de la nationalité française (Insee - accéder à l'ensemble des chiffres). En 2021, 17% des acquisitions par anticipation étaient le fait de mineurs d’origine marocaine, 15% d’origine algérienne et 8% d’origine tunisienne soit 40% du total des acquisitions par déclaration, ce qui représente 13 090 jeunes. 

Usage républicain et couacs

Sans remonter à un édit royal de 1315, à février 1515 (arrêt du Parlement de Paris sur le droit d’héritage des enfants d’étrangers) ou à la Constitution de 1793, c’est en 1804 que le Code civil pose le principe de la double possibilité d’acquisition de la nationalité française : acquisition par filiation - exclusivement paternelle - autrement dit le droit du sang ou jus sanguinis et, par son article 9, acquisition par un droit du sol : « Tout individu né en France d'un étranger pourra, dans l'année qui suivra l'époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français » sous condition de résidence et de domiciliation. La loi du 7 février 1851 introduit le principe du « double droit du sol » :  un enfant né en France peut devenir français si son père est lui-même né en France. 1889, marque le grand tournant républicain, celui qui pose les éléments du « droit de la nationalité moderne » : le double droit du sol est confirmé (exit le droit de répudiation de 1851) et surtout l’enfant né en France devient automatiquement français à sa majorité (sauf s’il la refuse) même si son père est né à l’étranger, ce que Patrick Weil appelle « l'usage républicain du droit du sol ». 

La loi du 10 aout 1927 étend encore le droit du sol en ouvrant l’accès à la nationalité française aux « enfants légitimes nés en France d’une mère française ». Il faudra attendre la loi du 9 janvier 1973 pour abolir la distinction en droit de la nationalité entre filiation légitime et naturelle.

Le régime de Vichy marque le tragique accroc de cette histoire : du 10 juillet 1940 au 25 août 1944, le droit du sol est aboli. L’ordonnance du 19 octobre 1945, le rétablira.

Dans les années 80, dans le cadre des débats sur l’immigration, la question de l’automaticité du droit du sol, héritée de 1889, est remise en cause, par l’extrême-droite d’abord. En 1993, avec la loi dite Pasqua, le législateur passe à l’acte : pour bénéficier du droit du sol et devenir français à sa majorité (21 ans), un mineur né en France de parents étrangers doit en manifester la volonté entre 16 et 21 ans. Cette « manifestation de volonté » ou « parenthèse Pasqua » durera cinq ans (1993-1998) avant d’être abrogée en 1998 par la loi dite « loi Guigou ». Ainsi avec la filiation, la naturalisation et le mariage, le droit du sol réintègre les quatre voies qui ouvrent l’accès à la nationalité française.

 

Le droit du sol contesté

Depuis plus d’un siècle, l’expérience républicaine française combine jus soli et jus sanguinis, traduisant par la loi, des valeurs d’ouverture et d’universalisme proclamés et, si ce n’est une tradition d’accueil, à tout le moins le fait que la France est une terre d’immigrations. Pourquoi, après sa suppression (1940) et les restrictions de la loi Pasqua (1993), revenir sur le droit du sol, comme vient de le faire le Sénat en novembre 2023, lors de l’examen de la loi sur l’immigration en adoptant un amendement déposé par la sénatrice Les Républicains, Valérie Boyer - qui figurait au programme du Rassemblement national à l’élection présidentielle de 2017 ? Une fois de plus, pour obtenir la nationalité française, il s’agirait de rétablir la « manifestation de volonté » du mineur né en France de parents étrangers et ce « à partir de l’âge de seize ans et jusqu’à l’âge de dix-huit ans ». En 1993, la manifestation de volonté bénéficiait d’une fenêtre administrative de cinq ans (entre 16 et 21 ans), elle est ici ramenée à deux ans (entre 16 et 18 ans).

Les arguments se répètent :

  • L’acquisition automatique de la nationalité priverait les mineurs d’origine étrangère d’un engagement formel en faveur de la communauté nationale. Pour éviter que des personnes deviennent des « Français malgré eux », la possibilité d’exercer librement leur choix leur est ainsi offerte ; avec sa part de suspicion et d’illégitimité pour une partie de la jeunesse née en France.
  • Le régime de l’automaticité, jugé trop favorable, pourrait « constituer un facteur d’attractivité pour les étrangers et contribuer à l’augmentation des flux migratoires ». Autrement dit le droit du sol serait un « appel d’air » pour des étrangers particulièrement avisés : puisqu’ils convoiteraient la nationalité française pour leurs rejetons à l’horizon de 16 ans !
  • « Un veau qui naît dans une écurie ne fera jamais de lui un cheval » selon l’élégante formule du sénateur Reconquête des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier… qui non content de réveiller les attaques d’un Maurice Barrès contre Émile Zola (« un Vénitien déraciné ») traduit une conception fixiste et inégalitaire (hiérarchisée ?), des appartenances, des cultures, des identités.

     

Une condition de l’égalité et de l’homogénéité

En 1997, Patrick Weil publiait un rapport qui faisait le point sur les effets produits par l’obligation de « la manifestation de volonté » de la « loi Pasqua ». Le premier constat fut d’ordre statistique : la mesure avait empêché nombre de jeunes d’accéder à la nationalité française, non par refus ou rejet mais… par ignorance – ils se croyaient Français - et par méconnaissance des règles voir par appréhension des démarches administratives. Quels seront aujourd’hui les effets de la dématérialisation et de la fracture numérique ?

Le rapport montrait aussi l’existence de pressions, sociales ou familiales, pour décourager voire empêcher d’engager ces démarches. Une fois de plus, les filles étaient les plus exposées à ces pressions. Ainsi, l’automaticité du droit du sol renfermerait une dimension « protectrice » non négligeable ; ne serait-ce que pour éviter aux familles des situations administratives biscornues.

Parmi les arguments avancés contre la suppression de l’automaticité figurent :

  • La remise en question du principe d’universalisme et d’égalité des enfants qui sont nés et ont grandi en France, alors que le droit du sol vise justement à traiter de manière égale toutes les personnes nées sur le sol français, et à restituer « l’homogénité de la grande famille française » (Adrien-Théodore Benoît-Champy,1805-1872)
  • Eviter d’envoyer un signal de défiance à des jeunes déjà confrontés à nombre de discriminations et qui doivent se construire malgré un sentiment d’illégitimité.
  • Une altération du Pacte républicain et de la tradition intégratrice selon la Défenseure des droits pour qui cette suppression marquerait une rupture « avec la tradition républicaine de garantir un droit à devenir Français pour les enfants étrangers nés en France et ayant effectués leur scolarité en France » (intervention devant la commission des lois de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration, novembre 2023)

Mustapha Harzoune, décembre 2023

Sources : 

  • Gérard Noiriel, La tyrannie du National. Le droit d'asile en Europe 1793-1993, Paris, Calmann- Lévy, 1991. 
  • Patrick Weil, La France et ses étrangers, L'aventure d'une politique de l'immigration de 1938 à nos jours, Paris, Camann-Lévy, 1991, rééd. au format poche : coll. « Folio », Gallimard, 1995. 
  • Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Grasset, 2002. 
  • Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? (et autres textes choisis et présentés par Joël Roman), Paris, Presses Pocket, 1992. 
  • Mission d'étude des législations de la nationalité et de l'immigration : rapports au Premier ministre remis le 1er janvier 1997 par Patrick Weil.
  • Claire Rodier (GISTI), « Droit du sol : le Sénat foule au pied la tradition française », Alternatives économiques, le 21 novembre 2023.
  • « Remise en cause du droit du sol », Lettre ouverte collective à l’attention d’Elisabeth Borne, Première ministre du 6 novembre 2023.
  • Chiffres de l'INSEE sur les acquisitions de nationalité : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381644#tableau-figure1