Politique et immigration

Quelle politique l’Europe mène-t-elle en matière d’immigration et d’asile ?

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Go No Go, Les Frontières de l'Europe 1998-2002. Post-landing inspection on the passenger gangway. Schiphol Airport, Netherlands, 1993.  Ad Van Denderen / Agence Vu'
Go No Go, Les Frontières de l'Europe 1998-2002. Contrôle après l'atterrissage sur la passerelle réservée aux passagers. Aéroport de Schiphol, Pays-Bas, 1993.  Tirage argentique noir et blanc sur papier baryté 60 x 80 cm. Musée national de l'histoire de l'immigration © Ad Van Denderen / Agence Vu'     

Entre besoin de main-d’œuvre et lutte contre l’immigration clandestine

L’Europe doit faire face au vieillissement démographique et aux pénuries structurelles de main-d’œuvre qui sont les deux principaux facteurs de la poursuite des politiques d’immigration dans tous les pays européens. Néanmoins, le contrôle des flux migratoires et la lutte contre l’immigration clandestine – conduits depuis 2004 par l’agence Frontex - restent prioritaires sous la pression d’une partie des opinions nationales, qui considèrent l’immigration comme une menace pour leur société et ce qu’il reste des acquis de l’État providence. Chaque pays européen a cherché à traiter, à sa manière, ces deux tensions contradictoires quand la construction de l’Union européenne les incite à harmoniser leur politique migratoire.

Mise en place d’une politique migratoire commune

Les pays européens ont convergé progressivement vers une politique migratoire commune. Ils ont d’abord adopté une série de dispositions :

  • Les accords de Schengen en 1985, qui ont supprimé les frontières intérieures à l’Union (à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark) tout en renforçant les frontières extérieures.
  • La convention de Dublin en 1990, qui a fixé les conditions d’examen des demandes d’asile. Depuis 2013, le pays d’ Europe par lequel le demandeur d’asile est entré est responsable du traitement de sa demande, que cette entrée soit régulière ou non (système Dublin). Seule exception, la présence d’un membre de la famille du demandeur d’asile dans un autre Etat membre. Le système Dublin place les pays à la frontière de l’Europe (Italie et Grèce) aux avant-postes des arrivées de migrants.
  • Les accords de La Haye en 2004, ont tenté d’harmoniser la lutte contre l’immigration irrégulière dans le sens du durcissement des conditions d’entrée, de délivrance de visa (Création du Système d'information des visas et une base de données biométriques)  et par des politiques de retour, d’éloignement ou de rapatriement (création d'un « Fonds européen pour le retour ») et par l’externalisation des contrôles.
  • En 2020, la Commission européenne a présenté son nouveau Pacte sur la migration et l’asile. L’initiative arrive après la crise de l’accueil de l’année 2015 où plus d’un million de réfugiés sont arrivés en Europe (soit… 0,2 % de la population européenne), après l’accord controversé signé en 2016 avec la Turquie pour limiter l’arrivée de demandeurs d’asile, et après l’incendie et la destruction du camp de Moria à Lesbos et enfin, dans un contexte où plusieurs pays européens (groupe de Visegrád) refusent les politiques de relocalisation des demandeurs d’asile en Europe (visant une répartition équilibré des demandeurs d’asiles entre les pays européen). 

    Le Pacte sur l’immigration et l’asile a pour ambition de remettre de l’ordre dans un système « qui n’en est pas un » selon la déclaration de Margaritis Schinas, vice-président de la Commission en charge des migrations. Il ambitionne de rendre les Etats membres plus solidaires les uns des autres et d’éviter la concentration des populations immigrées dans certains pays. Il reprend les objectifs des précédents traités : renforcer la lutte contre l’immigration illégale et accélérer les retours des personnes en situation irrégulière. Il propose de décriminaliser les sauvetages en mer.
  • Depuis le 19 janvier 2022, il revient à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) de coordonner l’accueil, le traitement des demandes et les retours des migrants au niveau européen. Pour l’année 2022, elle est dotée de 172 millions d’euros de fonds de l’UE. 

Ce qu’il reste à faire

La communautarisation des politiques d’immigration et d’asile reste encore inachevée car beaucoup de pays européens se sont donné des délais pour mettre en œuvre certains traités. 

Mieux, Le Pacte sur l’immigration et l’asile (2020) prévoit que chaque Etat membre reste libre de choisir la manière dont il applique le principe de solidarité (accueil des demandeurs d’asile ou contribution financière aux reconduites des migrants en situation irrégulière dans leur pays d’origine). Dans l’hypothèse où un Etat membre subirait de fortes tensions migratoires, il est prévu que les autres Etats devraient l’assister. Non seulement les sanctions restent à détailler mais sur le fond, le Pacte de 2020 ne remet pas en cause la règle générale de Dublin. Partant, le projet ne fait pas l’unanimité : les pays qui accueillent de forts flux migratoires (Grèce, Italie) continuent de réclamer plus de solidarité quand les pays du groupe du Visegrád s’y refusent.

Côté solidarité, le chemin reste encore long. D’autant que les Etat restent souverains pour accorder ou non le statut de réfugiés aux demandeurs d’asile, en matière de délivrance de visas ou de permis de séjour, en matière de conditions d’accueil, etc, quitte à contrevenir aux conventions internationales signées ou au respect des droits fondamentaux dû non seulement aux demandeurs d’asile et aux migrants en général mais à tout être humain.

Cette « Europe à la carte » alimente indirectement l’immigration clandestine, le travail au noir et le nombre des déboutés du droit d’asile au sein de l’Union.

Par ailleurs, la lutte contre le vieillissement et les manques de main d’œuvre (Livre vert européen de 2005), incitent certains pays à mettre en place des politiques implicites ou explicites de quotas afin d’attirer les migrants les plus qualifiés sur leur territoire. La crise sanitaire dit de la Covid n’a fait que souligner le fait que chaque pays instrumentalise les migrations en fonction de ses propres besoins et urgences : délivrance et prolongation de titres de séjour temporaires ou régularisation des sans-papiers…

 

Désunion et crise de la solidarité européenne (marquée par le rétablissement des frontières et le refus de la politique dite des quotas en matière d’accueil des demandeurs d’asile) marquent les dynamiques à l’œuvre. L’autre caractéristique de la politique européenne vise au renforcement des frontières. Le Pacte sur la migration et l’asile consacre une large partie à la protection des frontières délimitant l’espace européen. « Nous ne sommes plus Européens, sauf par un accord tacite sur une politique du laisser-survivre et, souvent, du laisser-mourir aux portes de l’Europe » écrit François Héran à propos de l’accueil des réfugiés de l’année 2015, et à « l’écart » entre Angela Merkel et les dirigeants européens, « France et Royaume-Uni compris », qui « s’est creusé, et l’Allemagne a dû rebrousser chemin pour coller aux passions tristes de l’Europe. Angela Merkel est sortie de cette épreuve avec tous les honneurs. On ne peut pas en dire autant de ses homologues européens ». Faut-il mettre en regard des politiques migratoires européennes les valeurs portées par le vieux continent  ?

Mustapha Harzoune, 2022