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Pour en finir avec la question juive

En ces temps où le racisme semble reprendre des couleurs, et ce jusque chez quelques sauvageons des beaux quartiers, passablement enlaidies par une parentèle meurtrière, incapable d’éduquer et de civiliser leur chères têtes blondes, il est opportun de mettre son grain de sel dans les idées et les consciences de ses contemporains, histoire d’améliorer leur jugeote. C’est donc avec bienveillance que le lecteur ouvre ce nouveau Jean-Claude Grumberg, dramaturge de renom, auteur depuis 1985 d’une trentaine de pièces de théâtre et par ailleurs scénariste de télévision et de cinéma où il travailla notamment avec Costa-Gavras.

Pour en finir avec la question juive réunit, dans un dialogue aux desseins humoristiques, deux voisins qui, entre deux paliers, devisent allégrement sur "la question juive". Il y a là le juif de service, laïcard, pas religieux pour deux sous, un brin athée même. Sa judaïté est d’autant plus affirmée qu’on voudrait lui marcher sur les pieds. S’il s’intéresse aux Juifs, à leur histoire comme à leur culture, il n’a que faire du judaïsme et du Talmud. L’autre personnage figure l’ingénu, un ingénu qui frise l’idiotie. Les compagnes de nos deux discoureurs de paliers sont en coulisse. L’une est de Quimper, l’autre de Bordeaux. En coulisse mais pas sans influence - comme l’épouse du regretté Colombo.

Ainsi, lorsque s’ouvre le dialogue, la femme de l’ingénu incarne une grossière caricature de l’antisémite qui puise ses informations sur le web, naviguant telle une écervelée et sans discernement sur des sites pro-Palestiniens. A ses arguments en faveur de la cause palestinienne, par son mari rapportés, le voisin sert les poncifs ou généralités sur les droits "immémoriaux" des juifs sur cette terre ou répond à propos des territoires : "les rendre, ok mais à qui ?" Ici, l’art de retourner une question par une autre et d’élargir ainsi le champ des possibles et de la réflexion sert à refermer la discussion ; l’affaire est entendue, l’évidence et la pertinence s’imposeraient à tous. Pourtant, dans une sorte de transposition didactique ou pédagogique, l’auteur s’en va chercher une grosse ficelle pour traduire les ressorts et contradictions psychologiques de ces pro-Palestiniens de voisins : un conflit entre copropriétaires de l’immeuble (escalier A versus escalier B) transforme l’ingénu (et sa moitié) en faucon belliciste et vindicatif, renvoyant les négociations à plus tard… Si un nouvel antisémitisme en France se nourrit de la situation au Proche-Orient, il est peu probable que ces échanges aident justement à en finir avec la question juive, sans compter qu’en Europe, les antisémites de tous poils, de toutes sensibilités et de tous calibres n’ont pas attendu la création de l’Etat d’Israël pour sévir et reprendre du poil de la bête.

En tout cas, la charmante épouse (à défaut du lecteur) sera retournée – entendre convaincue – par les judicieux conseils du voisin. Elle délaisse les pages web de "Palestine vaincra" pour des sites d’initiation au Talmud, à la Torah et autres sites géopolitiques, "super-clair". A l’arrivée, l’épouse, en mal sans doute de conversion, en viendra à acheter de la viande casher, à affubler son mari d’un couvre chef et à respecter le shabbat. Mieux, elle redécouvre calme intérieur et joie de vivre. Sa foi est celle des convertis, une foi de charbonnier, inquisitoriale : elle est plus juive (religieuse) que son juif (athée) de voisin, et elle lui fait savoir (par son ingénu de mari) : "un mauvais juif est pire qu’un anti juif" dixit un rabbin new-yorkais devenu son nouveau gourou. Juifs et Palestiniens se passeraient volontiers de ces idolâtres et idiots pousse-au-crime de convertis.

Il y aurait "8 612 façons de se dire juif" - et autant sans doute de vivre son appartenance ou son lien à la civilisation (et pas uniquement à la religion, relire Fethi Benslama) musulmane. Il est facile et recommandé d’adhérer à ce propos général : un juif peut très bien préférer le fromage de tête à la carpe farcie, comme un Gaston Kelman peut être noir et ne pas aimer le manioc, comme un Indien peut ne pas porter de nattes comme l’écrit Louise Erdrich dans son dernier roman ou comme un mien ami, être un berbère pure sucre et prendre quelques distances avec le couscous. Si les intentions de Jean Claude Grumberg visent à corriger quelques ignorances, clichés ou malveillances, sa démonstration laisse sceptique. D’autant plus que le texte manque d’entrain et de rebondissements ou de surprises.

Mustapha Harzoune 

Jean-Claude Grumberg, Pour en finir avec la question juive, Actes Sud 2013, 79 pages 10€.