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Pour le prix de la Porte Dorée, c’est aussi la rentrée !

C’est dopés par les propos de Julien Delmaire, notre lauréat 2014 pour Georgia (Grasset), que nous abordons la rentrée : "Le prix littéraire de la Porte Dorée sélectionne souvent des livres hors des sentiers courus, des langues rabâchées. Il n’a pas peur de sa subjectivité, de son engagement. Il est politique dans le meilleur sens du terme : celui de l’attention à l’autre, fût-il étranger". 

Cette rentrée littéraire, qui nous projette dans la 6e édition de notre prix, nous rassure : l’exil inspire toujours les écrivains. Premier panorama avant la sélection qui sera connue début mars.

Le Dernier Gardien d’Ellis Island, Gaëlle Josse (Notabilia)
Alors que les discours sur l’immigration continuent à faire rage, ce roman nous rappelle qu’il y a moins d’un siècle les hordes de miséreux qui se pressaient à la Porte d’or avec l’espoir d’un avenir meilleur venaient surtout d’Europe : 12 millions de migrants sont passés par cette île, "singulier et antique navire amarré à quelques encablures de Manhattan". Nous la découvrons grâce au journal de son dernier gardien qui, seul face à une foule de fantômes, erre dans le bâtiment désaffecté. Ce journal commencé en novembre 1954, neuf jours avant la fermeture définitive de cette citadelle, permet à Gaëlle Josse de mêler de très belle façon émotions imaginées et réalité historique.

La Langue des oiseaux, Claudie Hunzinger (Grasset)
Hasard : La Langue des oiseaux annonce à sa façon la prochaine exposition du Musée, Fashion Mix, un hommage aux grands couturiers étrangers qui ont contribué à faire de Paris la capitale de la mode. Dans ce roman étrange, une jeune Japonaise "exilée corps et langue" en France survit en vendant sur Internet ses vêtements griffés Comme des Garçons (créations de Rei Kawakubo). ZsaZsa, la narratrice, s’est retirée dans une baraque isolée, mais bientôt Sayo et ses petites annonces vont envahir tout son espace. C’est que la langue de cette Japonaise, un "français étranger, sauvage", "haché de petits courts-circuits enchanteurs", agit comme un sortilège : "Chaque vêtement exige de toi une façon de vivre. A moi, les CdG demandent toujours qui je suis".

Vera, Jean-Pierre Orban (Mercure de France)
Il est aussi beaucoup question de langues dans ce roman : l’italien mâtiné de frioulan et de romagnol, la langue maternelle de Vera, la narratrice, l’anglais de son pays d’adoption et le français qui lui permettra de se trouver une identité. Dans la Little Italy de Londres des années 1930, Vera, petite fille enchantée par les activités que lui propose le Fascio, représentation locale du régime de Mussolini, s’éloigne de plus en plus de la rusticité de ses parents. Elle s’épanouira pendant la guerre dans le quartier cosmopolite de Soho : "La capitale était régénérée par les aliens. (…) Londres, sous les bombes, me semblait plus légère".

Debout-Payé, Gauz (Le Nouvel Attila)
Autre décor, autre style : si vous voulez savoir à quoi pensent les vigiles des grandes enseignes, lisez le premier roman de l’Ivoirien Gauz. Après, vous considérerez d’un autre œil ces hommes de l’ombre à la peau sombre qui sont payés, comme le dit le titre dans un joli raccourci, pour rester debout, et "répéter cet ennuyeux exploit de l’ennui". Mi-roman, mi-essai de sociologie, Debout-Payé réunit saynètes amusantes, rappels historiques, notes en vrac sur les clients du Camaïeu de Bastille ou du Séphora des Champs-Elysées pour se moquer de la folie consumériste et de la politique de l’immigration des années 1960 à l’après 11 septembre.

Pas pleurer, Lydie Salvayre (Seuil)
Lydie Salvayre, née de parents espagnols réfugiés en France en 39, retrouve le chemin des origines de la manière la plus directe : "Dans le récit que j’entreprends, je ne veux introduire aucun personnage inventé. Ma mère est ma mère, Bernanos l’écrivain admiré des Grands Cimetières sous la lune et l’Eglise catholique l’infâme institution qu’elle fut en 36". Cela donne un texte où se croisent sans artifice le témoignage de Bernanos sur les atrocités que commettent à Palma les nationaux, avec la bénédiction de l’Eglise, et le récit de la mère, Montse, qui, à 90 ans, garde intacts les souvenirs radieux de l’été 36 en Catalogne : elle avait alors 15 ans. L’émerveillement, l’exaltation, les espoirs, l’ivresse de ces quelques semaines d’insurrection libertaire, on en frissonne à l’écoute de cette vieille dame, dont Lydie Salvayre a su si bien traduire la langue : un français tout hérissé d’espagnol.

Voyageur malgré lui, Minh Tran Huy (Flammarion)
Minh Tran Huy préfère la mise à distance de la fiction pour plonger dans le passé de son père avant le naufrage de sa mémoire, d’où seuls émergent encore les souvenirs du pays natal, le Viêtnam. C’est donc Line qui, à New York, se passionne pour Albert Dadas, premier cas de fugueur pathologique, avant d’évoquer les voyageurs malgré eux de sa propre famille, et surtout son père, arrivé en France au début des années 60 pour faire des études et qui n’en est jamais reparti. Un père très présent mais d’une grande discrétion sur les drames de la guerre. Ce silence va peu à peu s’effriter. Juste avant que les mots ne lui manquent, il racontera à sa fille sa vie d’avant l’exil. Un livre très délicat sur la transmission.

La Ballade d’Ali Baba, Catherine Mavrikakis (Sabine Wespieser)
Catherine Mavrikakis choisit aussi la fiction pour retrouver son père. Mais Erina, la narratrice, ressemble à l’auteure québécoise comme deux gouttes d’eau. Vassili Papadopoulos n’a jamais été un papa poule et ce n’est pas la discrétion qui le caractérise. Même mort, il ne veut pas rester sagement dans l’au-delà. Alternent en brefs chapitres les moments lumineux que sa fille a partagés avec lui - une virée éclair à Key West un 31 décembre, quelques week-ends d’avant le divorce, une nuit à Las Vegas - , rencontre avec son spectre à Montréal et étapes du parcours de cet homme "qui aimait les gens et les lieux. Pas les pays". Parti de Rhodes pour l’Algérie à l’âge de 6 ans, il a débarqué à New York à 23 ans "pour faire l’Américain". Charmeur, plein de fantaisie, Vassili a surtout l’art de disparaître sans donner de nouvelles. Qu’importe, quand il revient, vivant ou mort, c’est la fête. Un livre qui se lit à tombeau ouvert.

Jacob, Jacob, Valérie Zenatti (L’Olivier)
Pour Valérie Zenatti, née à Nice, la terre des origines, c’est Constantine de l’Algérie coloniale, quand juifs et Arabes vivaient ensemble, souvent dans la même pauvreté, parlaient la même langue, aimaient les mêmes plats. On suit avec émotion le destin de Jacob, jeune juif enrôlé en juin 44 pour libérer la France, "alors que trois ans avant son incorporation on ne l’avait pas jugé suffisamment français pour l’autoriser à franchir les portes du lycée d’Aumale". Un peu moins de vingt ans plus tard, une autre guerre oblige sa famille à quitter l’Algérie. La mort de Cheik Raymond, la star de la musique arabo-andalouse, sonne le glas de la communauté juive d’Algérie… Emporté par le style de Valérie Zenatti, on se surprend à murmurer, les larmes aux yeux, "Jacob, Jacob".

Par ailleurs (exil), Linda Lê (Christian Bourgois)
"Les plus grands artistes sont le plus souvent des ‘produits d’hybridations et le résultat de déracinements, de transplantations". Linda Lê rappelle ces propos d’André Gide dans Par ailleurs (exil), un essai stimulant aussi érudit que facile à lire, où, en une page ou deux, elle présente une pléiade de grandes figures de la littérature mondiale qui ont connu l’exil, qu’il soit géographique ou intérieur. Pour cette écrivaine d’origine vietnamienne, "le dépaysement est vital". La littérature aussi.

Elisabeth Lesne, responsable du prix littéraire de la Porte Dorée