Colloques et séminaires

L'objet comme source. Écrire l’histoire des migrations au Musée

Séminaire de recherche 2023-2024
Novembre 2023 - Juin 2024

Depuis 2022, le Musée national de l’histoire de l’immigration accueille des chercheurs et chercheuses en résidence. Dans ce cadre, le département de la recherche propose, en 2023-2024, un cycle intitulé « L’objet comme source. Écrire l’histoire des migrations au Musée ». Ce séminaire est né à l’initiative d’Annabelle Allouch, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Picardie-Jules Verne, et organisé dans le cadre de sa résidence au Musée.

Programme du séminaire

Vendredi 14 juin 2024, 10h30-12h30

Laure Hadj, maîtresse de conférence en sociologie, CURAPP

Contre-dons et rétribution matérielle des enquêtes. Le cas des cartes cadeaux à des migrants dans la Somme

Laure HADJ est maîtresse de conférences en sociologie-démographie à l’université Picardie Jules Verne. Elle dirige une recherche sur l’accès aux soins des migrants et les solidarités à Amiens, deuxième ville de la région Hauts-de-France (ANRS 2019-2023). Cette commune, desservie par un trafic ferroviaire qui relie Paris gare du Nord vers le nord de la France (Lille et Calais), se situe sur une ‘route’ migratoire. Près de 50 migrants ont témoigné de leur trajectoire migratoire et de leur expérience d’accès aux soins.

Une carte cadeau d’une enseigne de grande distribution est offerte aux enquêtés. Elle permet d’acheter pour une somme définie des denrées, des vêtements, des ustensiles… dans les magasins de l’enseigne. Cette rétribution est indiquée aux enquêtés à la fin de fin de l’entretien pour garantir une certaine neutralité à participer à la recherche. Dans ce séminaire, la carte cadeau est un objet qui permet d’interroger la relation enquêté-enquêteur ainsi que les conditions de vie d’enquêtés pauvres.

Séance passée - Vendredi 3 novembre 2023, 14h30-16h30

Magali Nachtergael, Professeur en littérature et arts visuels, Université Bordeaux-Montaigne

Albums photographiques, migrations et récits personnels
Après une année de résidence croisée MNHI et au laboratoire en Études de Genre et de Sexualité (LEGS) du CNRS, Magali Nachtergael présentera les recherches qu'elle a effectuées au musée mais aussi dans d'autres institutions, dont l'AfricaMuseum de Tervueren et le DOMID - Centre de documentation et musée de la migration en Allemagne à Cologne. Son intervention ouvrira plus largement sur une réflexion autour des récits écrits dans les musées, entre institution et création contemporaine.

Séance passée - Vendredi 15 décembre 2023, 14h30-16h30

Emmanuelle Sibeud, Professeur en histoire contemporaine, Université Paris 8.

Dans les bottes de la mission Marchand. Figurer la colonisation en France depuis 1931
Dès 1931, un monument a été installé face à la figuration de la colonisation proposée par la façade du Palais de la Porte Dorée, pour l’insérer dans un ensemble urbain significatif. Les allégories du groupe « À nos gloires coloniales » ont cependant rapidement été remplacées par le monument à la Mission Marchand, dans un style plus proche de la façade. Celui-ci est achevé, mais pas encore inauguré en 1939 et partiellement démonté pour cette raison : la partie supérieure de la statue de Marchand est placée par précaution dans le musée. Ses bottes restent donc vides jusqu’à son inauguration tardive en 1948 et servent de décor pour des photographies loufoques, selon la presse qui s’en émeut.

Emmanuelle Sibeud partira de cet épisode mouvementé dans l’histoire du monument à la Mission Marchand, pour analyser les modes de figuration de la colonisation en France dans les années 1930 et 1940, le rôle joué dans cette mise en scène par le musée des colonies puis de la France d’Outre-mer, et la réception de ces dispositifs. À partir d’une base empirique, il s’agira ainsi d’aller au-delà des discours sur la colonisation pour saisir les pratiques et les émotions suscitées par l’impérialisation de l’espace urbain parisien autour du Palais de la Portée Dorée.

Modératrice : Dominique Taffin, conservatrice générale du patrimoine

Séance passée - Vendredi 19 janvier 2024, 10h30-12h30

Séverine Chauvel, Maîtresse de conférence, UPEC.

Documenter les migrations étudiantes ouest-africaines en France, depuis les années 1960
Les étudiants des différentes nationalités des pays de l’Afrique de l’Ouest constituent une population particulièrement intéressante pour saisir les mobilités étudiantes, dans la mesure où ils sont parmi les plus mobiles au monde.
En 2018, ils représentaient, selon les chiffres de Campus France, un étudiant sur dix à l’échelle mondiale, avec un taux de mobilité (4,6%), deux fois plus élevé que la moyenne mondiale (2,4%). L’Union européenne, en particulier la France, accueille la grande partie de ces étudiants à l’étranger. Cette séance sera consacrée à l’analyse des représentations de ces migrations étudiantes ouest-africaines, à différents objets visuels (images, films), et à ce qu'ils disent de leurs histoires.

Séance passée - Vendredi 29 février 2024, 10h30-12h30

Jim Harris, Teaching curator, Ashmolean Museum, Oxford University

Agile Objects: collaborative, interdisciplinary, democratic learning at the Ashmolean Museum, Oxford

Des objets agiles : les apprentissages collaboratifs, interdisciplinaires et démcratiques mis en oeuvre à l’Ashmolean Museum d’Oxford

Attention : la séance se déroulera en anglais

Apprendre au musée, c'est inévitablement l’expérience d’une lecture des collections telles qu'elles ont été élaborées par les conservateurs et des équipes chargées de la conservation et de la valorisation du patrimoine.

En cela, le musée fournit à ses publics une loupe par laquelle les objets sont vus et appréhendés, tout en laissant les spectateurs à leur émerveillement, mais aussi à leur travail de réception et de circulation entre les objets et la manière dont ces derniers sont mis en valeur par les dispositifs muséographiques et scénographiques.

Depuis dix ans, l’Ashmolean Museum de l’Université d’Oxford a mené une expérimentation qui vise à promouvoir l’organisation de cours de licence et de master in situ, en complétant la lecture muséographique traditionnelle par celle des enseignants-chercheurs. Selon ce modèle d’apprentissage universitaire, les interactions avec les objets sont organisées pour des groupes restreints d’étudiants, et la problématique de l’objet est ajustée aux besoins des enseignants et de leurs étudiants, selon leur discipline.

Lors de cette séance, le Dr Jim Harris présentera les mécanismes de ce mode d’enseignement et de recherche à partir de son expérience de Teaching Curator à l’Ashmolean. Il reviendra en particulier sur l’importance du musée en démocratie, et sur la production d’un savoir plus centré sur l’étudiant et le chercheur.

Séance passée - Vendredi 15 mars 2024, 10h30-12h30

Anna Colin-Lebedev, MCF, Université Paris Nanterre

Ramener un souvenir de guerre, exposer un souvenir de guerre, utiliser un souvenir de guerre. L'objet comme support de mémoire des vétérans de la guerre soviétique en Afghanistan

Un passage obligé d’une enquête de terrain auprès des associations des vétérans de la guerre soviétique en Afghanistan - nombreuses dans l'espace postsoviétique - est la visite commentée d'une vitrine d'exposition, voire d'un petit musée associatif, composé pour l'essentiel d'objets personnels de leurs membres (photos, documents militaires, médailles, détails d'uniforme, objets du quotidien...). Le statut de ces objets est multiple: support d'une mémoire personnelle, support d'un récit collectif, outil pédagogique. L'objet fait aussi connexion entre l'identité du groupe dans le passé et son action aujourd'hui; en ce sens, certains objets sont investis d'un sens nouveau et réutilisés dans l'espace public, comme le pakol, béret traditionnel afghan. La présentation se basera sur une enquête de terrain conduite auprès des associations ukrainiennes de vétérans d'Afghanistan en 2010-2016.

Séance pasée - Vendredi 26 avril 2024, 10h30-12h30

Dzovinar Kevonian, Professeur en histoire contemporaine, Université de Caen

La boîte de M. Bédrossian : les rescapés exilés arméniens et les matérialités

À partir de cette petite et précieuse "boîte de M. Bédrossian", conservée dans les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration, l’intervention portera sur les mémoires familiales des exilés arméniens entre approche ordinaire d’un crime de masse et médiation des objets. Il y a d’abord le silence. Le silence du rescapé, le silence de l’épouvante de ce qui ne peut être rapporté, le silence de ce qui ne peut être porté et accepté consciemment comme transmissible, et puis le silence extérieur du négationnisme, et enfin l’intraduisible dans la langue de la société du pays d’exil. Un silence ordinaire de l’extraordinaire.

La matérialité de quelques rares objets transportés dans l’exil et sur les routes, ou créé de toute pièce dans le silence de l'ébéniste ou du photographe de famille, est tout autant une assignation impuissante à faire revivre un passé perdu qu'un acte du présent qui traverse les temporalités et les espaces physiques de la migration forcée et immatériels de la mémoire. Entre mémoires familiales, transmission et silence, ces objets sont comme le magnétophone dans la Dernière Bande de Samuel Beckett. Et la pièce se termine par ces mots : « Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée. »

Séance passée - Vendredi 24 mai 2024, 10h30-12h30

Sylvie Aprile, Professeur en histoire contemporaine, Université Paris Nanterre

« Le chat, le chien et le géranium, ils avaient dû les sacrifier »

« Le chat, le chien et le géranium, ils avaient dû les sacrifier » et ils n'emportaient avec eux que des batteries de cuisine. » Cette citation extraite de Terre des hommes de Saint Exupéry, qui évoque l’expulsion de Polonais pendant la crise des années trente, figure dans l’exposition permanente du Musée national de l’histoire de l’immigration.

Dans cette intervention, nous proposons d’en faire le point de départ d’une réflexion sur la place de l'animal de compagnie comme source – peut-être inattendue - de l’histoire des migrations.

Au moment de la séparation, que faire de ce compagnon qui, souvent, n'a pas sa place dans le voyage et ne peut être accueilli dans le pays d'accueil ou du retour ? A contrario, quand la migration s'installe dans la durée, l’animal est-il un marqueur d'intégration ? Ou celui d'une fidélité nostalgique ou politique ? Le chien "Sénat" de Victor Hugo dans les îles anglo-normandes, le chien du fils aîné d'Alexandre Herzen chargé de pallier les carences affectives et l'éloignement de sa famille ont leur place tout à la fois dans l'analyse de l’intime mais aussi dans la construction sociale et juridique de la condition de l'exilé et du migrant. Au côté de ces animaux "célèbres " ou du moins connus, il s'agira aussi, bien entendu, d'évoquer tous les chiens et chats anonymes qui, sans être essentialisés, incarnent aussi un entre-deux des migrations.

Lors de ce séminaire, il s'agit de demander à des chercheurs en sciences humaines et sociales de s’emparer de plusieurs objets des collections pour y arrimer leurs recherches passées ou à venir, et faire parler l’objet autrement à partir de leurs travaux.

La voie a été ouverte de manière empirique par le catalogue de la nouvelle exposition permanente, Une histoire de l’immigration en 100 objets. À travers la pluralité des regards réunis et la diversité des angles d’analyse, l’ouvrage a permis d’enrichir la documentation des collections et de nuancer les regards portés sur les œuvres.