Mondes tsiganes
Mondes tsiganes est une exposition en deux volets qui explorent le rapport de la photographie aux Roms, Manouches, Kalé-Gitans. Perçus comme des éternels errants, comme menaçants et suspects, intrigants et fascinants... de multiples représentations de ces communautés tsiganes traversent l'histoire du médium.
Une histoire photographique, 1860-1980
Ce premier volet de l'exposition révèle la fabrique des images et la création d'un sujet iconique.
Les multiples usages de la photographie sont convoqués : ils montrent la construction des stéréotypes dont ces communautés ont souvent été les victimes et documentent des trajectoires et des histoires méconnues.
Photographier les Manouches, les Kalé et les Roms, ceux que les autres, les Gadjé, appellent les Romanichels, les Gitans et les Tsiganes, relève de l’évidence et de l’impossible. Leur présence capte depuis toujours l’attention des artistes et des reporters. À la croisée des routes et aux coins des rues, les photographes ont reproduit à l’infini les préjugés qui s’attachent à ces populations. Citoyens de France ou d’autres pays, ils restent sans cesse perçus comme étrangers.
Par la photographie, journalistes, savants et experts tentèrent de cerner l’identité réputée insaisissable de cette « nation errante ». Les politiques d’État inventèrent d’immenses fichiers d’images conçues pour fixer et contrôler ceux que personne ne voulait accueillir. Ces traces photographiques témoignent toutefois des effets douloureux d’une persécution, encore amplifiée durant les guerres mondiales.
Mais, avec le temps, d’autres regards s’attachent aux multiples trajectoires familiales et aux destins personnels. Loin des clichés et des stéréotypes réducteurs, les images reflètent une rencontre entre un photographe et son sujet. Elles laissent percevoir une autre histoire. Des sujets surgissent, saisis dans leur vie quotidienne, sur différents territoires. Les visages s’imposent au singulier sur les images de leur vie.
Cette exposition révèle la complexité et la variété des regards photographiques et montre la fabrique visuelle qui a contribué à forger l’image des Roms et des Gens du Voyage. Elle interroge ainsi nos sociétés dans leur capacité à vivre avec ceux qui incarnent un éternel ailleurs.
Les Gorgan, 1995-2015
Ce deuxième volet relate l'expérience du photographe Mathieu Pernot avec une famille rom menée dans la durée.
Croisant ses photographies avec celles réalisées par la famille, l'auteur établit la singularité du destin de chaque individu au-delà de l'appartenance communautaire.
« J’ai rencontré la famille Gorgan en 1995, lorsque je faisais mes études à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. Les parents, Johny et Ninaï, vivaient alors en caravane avec leurs sept enfants, sur un terrain situé entre la gare de fret et le Rhône. Je ne savais rien de cette communauté et ignorais alors que cette famille rom était installée en France depuis plus d’un siècle.
J’ai réalisé mes premières images en noir et blanc, m’inscrivant dans une tradition documentaire face à ceux qui m’étaient encore étrangers. Je maintenais une distance et essayais de comprendre ce que ce médium pouvait encore nous apprendre d’eux. (...)
Mon déménagement à Paris en 2001 m’a éloigné des Gorgan pendant plusieurs années. C’est en 2013, plus de dix ans après avoir réalisé ces photographies, que nous nous sommes retrouvés, comme si l’on s’était quitté la veille.
L’évidence que cette histoire devait continuer le plus longtemps possible m’est immédiatement apparue. (...) L’exposition reconstitue les destins individuels des membres de cette famille. Elle retrace l’histoire que nous avons construite ensemble. Face à face. Et désormais, côte à côte ».
Mathieu Pernot
Nous avons appris avec tristesse le décès de Johny Gorgan, des suites d'une longue maladie, le 30 aout 2018
Commissariat général de l'exposition
Ilsen About : historien, chargé de recherche au CNRS et rattaché au Centre Georg-Simmel de l’École des hautes études en sciences sociales. Ses recherches actuelles portent sur l’histoire des politiques anti-tsiganes au XXe siècle et sur l’histoire des sociétés romani contemporaines en Europe.
Mathieu Pernot : diplômé de l’École nationale supérieure de la photographie à Arles en 1996, il rencontre des familles tsiganes, dont les Gorgan, avec lesquels il ne cessera de travailler par la suite. Au cours des années 2000, il développe différentes séries consacrées à l’enfermement, l’urbanisme et la question migratoire.
Adèle Sutre : professeure agrégée et docteure en géographie de l’École des hautes études en sciences sociales. Ses recherches s’articulent autour de la question de la spatialité des sociétés tsiganes, notamment à travers l’analyse des mobilités, des modalités d’ancrages territoriaux et des jeux autour des identités.
Les éditions autour de l'exposition
Mondes tsiganes.Une histoire photographique, 1860-1980
Co-édition du Musée national de l’histoire de l’immigration et des Editions Actes Sud, sous la direction d’Ilsen About, Mathieu Pernot et Adèle Sutre, mars 2018, ISBN : 978-2-330-09749-3, 29 € TTC
Cet ouvrage questionne la rencontre de la photographie avec les mondes tsiganes. La fabrique des stéréotypes et d’un sujet iconique montre le rôle central du médium dans la construction d’une identité présentée comme différente et étrangère. Derrière l’exposé visuel de cette singularité rêvée et la réverbération des clichés, d’autres récits apparaissent.
Les Gorgan, 1995-2015
Editions Xavier Barral, 232 pages, ISBN : 978-2-36511-120-1, 45€
Dans l’esprit d’un album photographique, cette monographie marque l’aboutissement de ce travail retraçant 20 ans d’histoire de cette famille et témoigne ainsi de la complexité de la culture tsigane à travers ce récit à plusieurs voix. Au fil des pages, se mêlent différents types de photographies du polaroïd au cliché N&B pris au Rolleiflex, des instantanés aux portraits posés, de joyeuses réunions aux moments plus douloureux liés à l’incarcération, à la mort qui sont livrés à nous sans filtre, tels qu’ils sont vécus. Prises par Mathieu Pernot ou les Gorgan eux-mêmes, ces photographies forment un ensemble sans hiérarchie aucune, ni distinction entre leurs auteurs, comme le souhaitait le photographe.