Société et immigration

L’intégration : ça marche ?

Peut-on mesurer l’intégration ?

Pour mesurer les succès et les insuccès de l’intégration, la statistique publique offre deux grandes voies : 

1- Celle du temps, marqué par la durée du séjour - et ici il faut distinguer le temps court de l’insertion et le temps long de l’intégration - et les évolutions par génération(s).

2- La comparaison entre les minorités et la majorité de la population. Cette dernière peut se décliner en plusieurs autres comparaisons : par genre, par âge, par niveaux social, éducatif, par origine nationale, etc.  

Précision : ces mesures ne concernent que les immigrés et leurs rejetons encore présents sur le sol national. Exit celles et ceux qui ont regagné, contraints ou par choix, leurs pénates d’origine ou un ailleurs plus prometteur. Ils sont tout de même estimés, et a minima, à 1/3 des migrants (F.Héran). Pour Gérard Noiriel (2007) il serait plus de la moitié, partant, il souligne : « La vérité historique nous oblige donc à constater que la majorité des immigrants qui sont venus en France ne se sont pas "intégrés" ».

Qu’il s’agisse de l’accès au marché du travail, des résultats scolaires, des questions de délinquance ou de justice, des conditions de logement... force est de constater que les résultats, bruts et sans mise en perspective, ne plaident pas, globalement, en faveur du succès de l’intégration des immigrés, comparé aux natifs. Pour autant, les études montrent que les différences de résultats ne relèvent pas tant d’un défaut d’intégration, façon de renvoyer l’étranger à son étrangeté, que des conditions socio-économiques. Autrement dit, placés dans les mêmes conditions socioéconomiques, natifs et étrangers partagent une même communauté de destin ! 

En revanche, l’OCDE montre que les écarts, avec la population majoritaire, tendent à se réduire avec la durée du séjour, que l’obtention d’un diplôme du supérieur renforce les probabilités de succès même si, armés d’un même bagage universitaire que les natifs, les immigrés doivent en rabattre quant à leurs prétentions : ils doivent eux, faire face aux discriminations et au déclassement des diplômes et compétences ! D’ailleurs, même en emploi les immigrés sont deux fois plus souvent sous le seuil de pauvreté.

Côté intégration, l’OCDE fait tomber un argument de campagne, un brin sournois : l’intégration des immigrés ne diminuent pas avec la présence en grand nombre d’immigrés dans la population. L’argument sur le contrôle des flux - « fermer les frontières pour chouchouter les immigrés du dedans » -, ne tiendrait pas. Il tient d’autant moins qu’une spécificité française nuit à l’intégration des nouveaux venus : le temps mis par l’administration pour attribuer des titres de séjours, une durée qui retarde l’accès au marché du travail ou qui entrave les régularisations et qui, paradoxalement, freine l’intégration. 

Quid de l’accueil et des naturalisations ? 

Toujours selon l’OCDE, en moyenne deux immigrés sur trois installés depuis moins de 10 ans ont acquis la nationalité du pays d’accueil. De ce point de vue, il n’y a pas d’exception française…  nulle gloriole pour celle que l’on présente comme une « terre d’accueil », point non plus de grand remplacement à l’horizon. 

Mais, si il y a un angle mort de ces intégrations « réussies » c’est le prix à payer en sacrifices, frustrations, désintégration des corps et des âmes par ces « bons immigrés ». Doan Bui l’écrit : « Nous avons été de “bons immigrés”», faisant même semblant d’être français. « Pour nous intégrer, nous nous sommes désintégrés ». Et pour le caustique Achour Wamara, mieux vaut éviter de parler de : « Terre d’accueil » : « ne prononce plus ce syntagme, tout ce que tu y plantes, progéniture et supplément de culture, portera le sceau indélébile d’une dette contractée à ton insu au franchissement de la frontière. Tu la règles mille et une fois, en petites portions de ton âme » (Voyage au bout de l’exil, L’Harmattan 2021). 

En ce qui concerne les plus jeunes, les performances scolaires s’améliorent avec la durée du séjour. L’OCDE a mis au point un taux de résilience pour mesurer les (bons) résultats scolaires des élèves issus de milieux défavorisés ; ce taux est de 12% pour les élèves nés dans la pays et de 6% pour ceux nés à l’étranger. Pour la seconde génération, si l’insertion sur le marché du travail est facilitée par le nombre d’années d’éducation, en revanche le chômage peut avoisiner un taux de 50% supérieur pour les enfants d’immigrés sur les natifs et être supérieur à celui de leurs aînés. De ce point de vue, la moindre crise ou le moindre ralentissement se payent « cash », indiquant une plus grande vulnérabilité face aux conjonctures. L’enquête TeO 1 a d’ailleurs montré que le ressenti des discriminations y est aussi plus important : il est vrai que pour cette seconde génération, la référence est la société française et plus la société d’origine, qu’ils (ne) demandent qu’à être des citoyens comme les autres. La marque paradoxale d’une intégration réussie…

A contrario, comment mesurer les dynamismes portés par les migrations et les générations qui en sont issues. Quid par exemple des initiatives nombreuses, économiques, sociales, culturelles, associatives, entrepreunariales des banlieues par exemple. 

L’intégration est un phénomène complexe, multiforme, variable dans le temps et selon les situations, à manier avec une finesse inconnue de bien des tribunes politiques et plateaux TV.

Mustapha Harzoune, 2022

Source :

  • Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2015 (OCDE) ;
  • François Héran, Intégration : constats et débats, cours au collège de France (2019/2020) (accéder aux cours en ligne) ;
  • TeO – Enquête Insee-Ined 2008.