Pourquoi les immigrés se regroupent-ils ?
Globalement, les immigrés se regroupent là où ils trouvent un emploi et à se loger. Pour autant, l’étude de la localisation des immigrés recoupe aussi des questions relevant de l’aménagement du territoire, des politiques de la ville, des choix d’urbanisme, de l’application (ou non) de la loi SRU (loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbain) et de l’action des élus locaux pour (ré)introduire de la mixité sociale mais aussi de logiques propres à chaque flux migratoires.
Ainsi, malgré la baisse de l’emploi industriel depuis la première moitié des années 1970, l’Île-de-France, les départements frontaliers du nord et de l’est de la France, le Rhône, l’Isère et les Bouches-du-Rhône, concentraient en 2012, 55% de la population immigrée, alors que ces départements regroupaient 32 % de l’emploi industriel. « De fait, les immigrés arrivés en France depuis moins de cinq ans s'installent dans des lieux où vivent déjà beaucoup ceux arrivés depuis longtemps ». De sorte que la répartition spatiale des immigrés a peu évolué entre les recensements de 2007 et 2012. « La possibilité de rejoindre des personnes de même origine que soi ou de s’installer dans des quartiers où le prix du logement est attractif peut en partie expliquer ce constat » avance Chantal Brutel (Insee).
Un effet de la ségrégation
L’étude Trajectoires et origines (Ined, édition 2016) montrait que 42 % des immigrés d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de Turquie étaient concentrés dans les 10 % des quartiers les plus précarisés. A la relégation spatiale, à la faiblesse ou à l’absence de mixité sociale, Michèle Tribalat a montré que se greffe une "ségrégation ethnique". La ségrégation s’explique par l’argent, la nationalité ou l’origine culturelle, les discriminations, directes et indirectes et par… le diplôme. Pour le sociologue Eric Maurin, "le manque de diplôme et de qualification est à l’origine des formes de pauvreté les plus performantes, et donc les plus pénalisantes sur le marché du logement" (Le Ghetto français, seuil 2004). Le lieu de résidence est devenu un marqueur social de première importance. Pour ceux qui ont les moyens de choisir, il est déterminé par les conditions de scolarisation et de socialisation des enfants.
Le temps de présence en France influencerait l’accès à la propriété des immigrés : les ménages originaires d’Italie et d’Espagne, installés depuis plus longtemps que ceux originaires d’Afrique du Nord ou de Turquie, sont donc davantage propriétaires. Cette corrélation n’épuise pourtant pas la question : comment expliquer la part importante (50 %) des ménages originaires d’Algérie en HLM ? L’INSEE avance comme explication « les caractéristiques au moment de leur arrivée en France. Ils sont venus principalement au cours des années 1970 et se sont implantés dans les grandes agglomérations ». Quid aussi des données concernant l’immigration turque dont 37% des ressortissants sont propriétaires ? Des logiques discriminatoires (dans le cas algérien par exemple) et des dynamiques internes à chaque populations (immigration turque) seraient aussi à considérer.
Sas d’entrée et ville mondialisée
En se regroupant, les immigrés s’entraident, s’échangent des informations, conservent des liens avec des proches, des personnes qui appartiennent à la même culture, parlent la même langue, se procurent des produits et des aliments spécifiques, trouvent à s’employer. Les immigrés se regroupent aussi pour se faciliter la vie. L’entre-soi peut être un sas d’entrée dans la société. C’est ce qu’évoquait déjà Mouloud Feraoun quant après la « peur instinctive », le « malaise », « l’indécision » le nouvel arrivé retrouve les siens : « De se voir parmi les siens dans cette petite salle obscure, de les entendre rire franchement, parler haut et en kabyle, Amer sentit une bouffée de bien-être s’exhaler de sa gorge et l’envelopper tout doucement » (La Terre et le sang, Seuil 1953).
Aujourd’hui, toutes les grandes villes possèdent leur quartier chinois, indo-pakistanais, turc, arabe, berbère ou africain. Ces quartiers et autres « réseaux ethniques » témoignent aussi de la mondialisation des sociétés et des cultures.
Mustapha Harzoune, 2022
Source :
- Chantal Brutel, La localisation géographique des immigrés. Une forte concentration dans l’aire urbaine de Paris, INSEE PREMIÈRE, No 1591 (Paru le 19/04/2016)
- Insee, recensement de la population 2017