Que faut-il entendre par intégration ?
L’intégration se rattache à l’idée d’un tout (être entier, intégral d’où la notion d’intégrité) à quoi viennent s’agréger plusieurs processus : l’adjonction d’éléments extérieurs (intégration des parties au tout) ; l’harmonisation, la coordination de ces parties au service d’un tout cohérent et efficient mais aussi des processus de développement (concentration verticale ou horizontale en économie de l’entreprise, intégration européenne), de renouveau, de réparation...
Sociologiquement, l’intégration recoupe les notions de lien social, de cohésion sociale. Elle est stimulée (ou freinée) par des processus de réaffirmation et d’évolution, les équilibres entre fixité et variation, certitude et incertitude, identique et différent, l’un et le multiple, la dialectique du tout et des parties mais aussi par la vigueur (ou la mollesse) du fameux « désir de vivre ensemble ».
Réduire l’intégration à la seule capacité – ou responsabilité ! - des étrangers, des immigrés et même de leurs descendants, à se fondre dans la communauté nationale en en respectant ses valeurs est un appauvrissement. Cette réduction peut devenir un leurre quant aux enjeux sociaux et politiques collectifs.
L’intégration c’est du lien social
A l’origine, l’intégration s’applique à la capacité des individus, de tous les individus, à participer à des activités collectives. A l’intégration, Durkheim oppose la notion d’anomie qui "vient de ce que les organes solidaires ne sont pas en contact suffisant ou suffisamment prolongé". L’anomie naît de l’isolement, de la relégation, des discriminations, du chômage… autant d’exclusions des activités et des espaces collectifs (travail, famille, voisinage, école, loisir, vie associative, sportive, culturelle…). Ces "contacts" insuffisants frappent aussi bien les jeunes, les femmes, les chômeurs, les personnes seules, les personnes âgées, les banlieusards que les… immigrés. L’intégration, comme lien social, demande que soit spécifié, à chaque fois, de qui et de quoi l’on parle.
La participation à des activités collectives (la "solidarité organique"), le fait de se mieux connaître les uns les autres concourent à la cohésion d’ensemble. L’intégration désigne alors l’unité de la société, son intégralité comme son intégrité, la réaffirmation du groupe dans ses continuités et nouveautés. Le désir d’intégration nait aussi d’une nation désirable. L’incertitude quant aux valeurs partagées, la crise identitaire - réelle ou instrumentalisée -, la crise de la citoyenneté, les remises en question du modèle social, la désaffection à l’égard du politique, l’accroissement des distances sociales, le blocage des mécanismes d’intégration (l’entreprise ou l’école), les discriminations de toutes sortes affaiblissent la force d’intégration de la nation. Ces multiples crises, survenant dans des sociétés mondialisées, favorisent les replis sur soi (identitaires, communautaires, religieux, ethnico-nationalistes mais aussi spatiaux et sociaux). Le chacun pour soi prend le pas sur le tous pour un, l’égoïsme (et non l’individuel) sur le collectif.
Dès lors, en quoi l’immigration serait-elle responsable des multiples manifestations – et formes - de la crise de l’intégration ? Pourquoi réserver les débats autour de l’intégration aux seuls immigrés ? L’Europe en dégageant des perspectives politiques, sociales, culturelles (et pas uniquement juridiques) pourrait-elle susciter de nouveaux « désirs » d’intégration ?
Intégration verticale…
Selon François Héran (Collège de France, 2019/2020) le débat sur l’intégration et l’immigration est enfermé (piégé ?) dans un triangle à trois sommets : les partisans de l’idéal républicain et de la citoyenneté qui relèguent au second plan les appartenances (Dominique Schnapper) ; les assimilationnistes pour qui l’intégration ne serait pas assez exigeante (Michèle Tribalat) et ceux pour qui l’intégration traduit un rapport de domination (Abdelmalek Sayad) et parfois une humiliation héritée de la domination coloniale.
Les trois positions auraient un point commun : une conception verticale de l’intégration, qui minore les formes quotidiennes du lien social. Pour autant, un A. Sayad voyait aussi dans l’intégration « un processus inconscient, quasi invisible de socialisation, qui ne peut être uniquement le produit d’un volontarisme politique de la société » (Hommes & Migrations, n°1182, 1994).
… Ou horizontalité
Et de fait, au jour le jour, dans l’intimité des rencontres et des échanges, des pratiques quotidiennes, par la tectonique du peuple et des peuples : au travail, dans les lieux de loisirs, de consommation, dans les associations, les lieux publics, les transports, le marché… c’est à bas bruit et par le bas, mais avec force que se tissent les liens dans la société. Ces télescopages des espaces (et du temps) disent qu’une société peut (aussi) s’appréhender par la notion de « côtoiement » empruntée à Claude Lefort : « Il n’y a pas quelque chose comme la société (…). Il n’y a que des mouvements d’aller vers ou de s’en abstenir, ou tout au mieux de frôler… ». Cela est même une condition de la démocratie : l’instauration d’un espace public, « où il faut faire avec les autres », ou comment la question des migrants revient à interroger nos fondements (et fragilités) démocratiques.
Mustapha Harzoune, 2022
En savoir plus :
- François Héran, Une vision plurielle des voies de l'intégration, cours du Collège de France du 6 mars 2020 (accéder au cours en ligne)