Quel est le parcours scolaire des enfants d’immigrés ?
L’enquête TeO1 (en cours d’actualisation) a montré que si 24% des garçons et 23% des filles de la population majoritaire ont obtenu le baccalauréat contre respectivement 20 et 25% pour les descendants d’immigrés, des différences existent entre les élèves originaires d’Algérie (20,5 et 27%), du Maroc ou de la Tunisie (19 et 31%) ou du Portugal (19 et 17%). Plus de 38% des élèves originaires de Turquie et du Portugal ont acquis un diplôme professionnel court (CAP-BEP), contre un quart de la population majoritaire. Le taux d’accès au supérieur est de 25% pour les descendants d’immigrés venus de Turquie, de 43% pour ceux du Portugal, de 44% d’Afrique subsaharienne et de 41 % d’Algérie, contre 53 % pour la population majoritaire. Les élèves originaires d’Asie du Sud-Est et les filles originaires d’Afrique guinéenne ou centrale se distinguent par une proportion importante de diplômés de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, le taux des sorties sans diplôme du système éducatif des descendants d’immigrés est de 13% (contre 8% pour la "population majoritaire"), avec d’importantes variation selon l’origine des parents.
Une question d’origine sociale plus que de migration
Globalement, les moins bons résultats observés relèvent des mêmes mécanismes que pour l’ensemble des élèves scolarisés. Nul besoin ici d’explications culturalistes et globalisantes, qui renverraient plusieurs générations d’élèves à une condition d’immigrée ou d’enfants d’immigrés. Les études ne cessent de le montrer : les élèves, immigrés, ou non, partagent une même communauté de destin scolaire et cette dernière résulte d’abord de « l'impact de l'origine sociale sur les résultats des élèves » (Cours des comptes, mai 2010). De ce point de vue, les enquêtes Pisa (en savoir plus) montrent que la France n’est pas la moins inégalitaire des nations.
Le poids des systèmes éducatifs…
D’autres facteurs sont à considérer, comme la concentration des élèves dans des établissements situés dans des quartiers défavorisés. Selon Pisa (2015), ce n’est pas la concentration d’élèves immigrés dans un établissement, mais plutôt celle d’élèves défavorisés, qui entrave la réussite de tous les élèves, qu’ils soient immigrés ou non. A cette ségrégation urbaine, entre les quartiers de résidence, s’ajoute une ségrégation par établissement et parfois une ségrégation pas classe au sein d’un même établissement ! Si le système scolaire ne corrige pas les inégalités initiales, l’institution n’est pas seule en cause dans ces mécanismes de reproduction. Il faut aussi intégrer les politiques publiques (locale et nationale), les options et stratégies des parents (voir Éric Maurin), les discriminations vécues ou supposées au sein de l’institution scolaire, les systèmes éducatifs eux-mêmes… En comparant selon le pays d’accueil les résultats scolaires différents d’élève originaires du même pays et issus d’un milieu socio-économique comparable, la même enquête Pisa a montré le poids des systèmes éducatifs sur les trajectoires scolaires d’élèves issus de l’immigration pour éclairer les écarts entre les enfants d'immigrés et les enfants de natifs mais aussi les écarts entre élèves immigrés…
… et celui du capital culturel
En 2016, l’Insee montrait que « ce sont les différences de capital culturel des familles qui déterminent toujours la réussite des enfants au collège » et non le passé migratoire. Ce « capital culturel » comprend le nombre de livres présents dans le foyer, le diplôme de la mère et la taille de la fratrie. Avec au moins 200 livres à la maison, une mère diplômée de l’enseignement supérieur et pas plus de trois frères et sœurs, les enfants d’immigrés multiplient les probabilités d’engranger les réussites scolaires. « Un tel résultat est cohérent avec les études qui comparent les scolarités des enfants d’immigrés à celles des autres élèves et montrent que la plus grande partie des écarts de réussite s’estompe dès que l’on raisonne à milieu familial comparable ».
L’étude revisite de fausses évidences, comme l’effet sur la scolarité de l'ancienneté de l'arrivée de la famille en France ou le fait de parler, ou non, le français. Ainsi, l’usage de la langue du pays d’origine, encore majoritaire dans les échanges entre la mère et ses enfants dans les familles d’Asie du Sud-Est, n’empêche pas leurs rejetons de taquiner l’excellence scolaire. De même, les faiblesses en français et en mathématiques des enfants nés à l'étranger sont comblées au collège.
L’influence du passé pré-migratoire
En 2018, Mathieu Ichou (Ined) insistait sur la nécessité de prendre en compte l’extrême diversité - par origine mais aussi individuelle - des parcours et des situations que cache le terme « immigré ». Il faut tenter de comprendre pourquoi, par exemple, les enfants originaires de Turquie réussissent moins bien que ceux originaires d’Asie par exemple, et sur quoi, au sein de chaque groupe, reposent les différences de parcours.
Mathieu Ichou ajoute aux conditions sociales en France, les conditions sociales pré-migratoires des parents pour en montrer les effets sur le parcours scolaire des enfants. Sans qu’il y ait une autotimacité des effets, ou des corrélations, l’approche novatrice retient plusieurs données : la place de l'éducation et de la scolarité dans le projet migratoire initial des parents ; l'expérience scolaire des parents dans le pays d'origine, les « regrets parentaux » notamment des mères qui peuvent reporter leurs espoirs déçus sur leurs enfants ; le modèle ou l’exemple que peu constituer une « réussite improbable » d’un membre de la famille ou encore l’effet positif que peut produire le sentiment des parents de relever d’un statut social – « subjectif » - plus élevé que leur condition, souvent déclassée, du moment.
Le fil à la patte
Le retard accumulé dès la maternelle ou en primaire constitue un handicap, un véritable fil à la patte qui entrave le parcours de l’élève au collège et au lycée. Des corrélations ont été établies entre la présence en classes préparatoires et le niveau à l’entrée en 6e, en CE2 et… au CP ! Partant, toute politique d’égalité et de justice scolaire doit commencer à la maternelle. « L’école maternelle est un réducteur d’inégalités pour les classes populaires, et notamment pour les enfants d’immigrés » rappelait le 6 mars 2020 François Héran (Collège de France).
En mettant en évidence l’importance du niveau d’acquis au sortir de l’école élémentaire pour la réussite dans l’enseignement secondaire, l’Insee (2016) a montré « que des politiques éducatives visant à résorber les inégalités sociales dans les premières années de scolarité constituent un moyen efficace pour rapprocher les destins scolaires des enfants d’immigrés de ceux des autres élèves ».
Succès au féminin
Visible dès l’entrée en sixième, la suprématie des filles en français et face au risque de redoublement, se renforce nettement au collège. Elles comblent et presque totalement leur déficit de réussite en mathématiques.
Quelle que soit l’origine, les filles atteignent un niveau de diplôme supérieur à celui des garçons et parfois même des taux de réussite supérieurs à ceux obtenus par les filles de la population majoritaire (notamment au niveau du bac). À l’entrée de l’enseignement supérieur, les différences entre filles et garçons de même origine peuvent dépasser les 20 points. Ces performances contribuent sans doute au fait qu’à milieu identique, globalement, les enfants d’immigrés réussissent aussi bien que les autres élèves.
Mustapha Harzoune, 2022
Sources :
- Claudine Attias-Donfut, François Charles Wolff, Le destin des enfants d'immigrés, un désenchaînement des générations, Stock 2009 ;
- Stéphane Beaud, La France des Belhoumi, La Découverte 2018 ;
- M. Ichou, Les enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires, du primaire à l'enseignement supérieur (PUF 2018).
- François Héran, Une vision plurielle des voies de l'intégration, cours du Collège de France du 6 mars 2020 (accéder au cours en ligne)