Sympathie pour le fantôme
Après les errements sur l’identité nationale et à l’heure où se profile un projet de Musée de l’Histoire de France suscitant, à son tour, moult débats, le nouveau roman de Michaël Ferrier tombe à pic. Certes, il ne faudrait pas le réduire à ces controverses et laisser choir la littérature - et la bonne surtout ! - dans le caniveau du copier-coller médiatico-éditorial et des cueillaisons électorales. Mais enfin, c’est bien d’identité (nationale ou pas), d’histoire (nationale pour le coup), de mémoire et d’origine, de métissage et de diversité que l’écrivain réunionnais installé en terre nippone a décidé de nous entretenir.
Michaël, le narrateur, professeur d’université au pays du soleil levant, anime une chronique dans une émission culturelle sur la France à la TV japonaise. Tandis que l’université s’enflamme pour un colloque, la télévision s’agite pour une émission spéciale. Sur les deux théâtres d’opérations un même thème occupe les esprits, attise les convoitises, flatte les egos et dresse les ergots : l’Histoire de France et l’identité française.
Si côté universitaire, le petit professeur doit faire là où les mastodontes des érudites et vaines causeries internationales lui disent de faire, côté télévisuel, l’animateur iconoclaste a carte blanche. Il entend, soutenu par Yuko sa patronne et amante, sortir l’histoire nationale des « cales » d’un récit officiel où l’immigré - et l’esclave - n’est réduit à n’être qu’un « fantôme ». Point de « repentance » mais plutôt effort de « remembrance », pour une histoire racontée par ses marges et une identité libérée d’une introuvable origine et vivifiée de mémoires plurielles. C’est là que le titre, au delà de son évidence littérale, donne à entendre la dimension poétique de ce roman musical : comme l’explique Michaël Ferrier en prologue, « quand on frappe une touche de piano, un harmonique de la note émise peut correspondre exactement à la fréquence selon laquelle une autre corde a été réglée. Cette corde se met alors à vibrer, à son tour, par « sympathie » (…) Ce phénomène est appelé : « fantôme ». »
Cette corde qui ici vibre est une « Trinité obscure », trois fantômes de l’Histoire de France : Ambroise Vollard, le marchand d’art, découvreur de Van Gogh, Cézanne ou Picasso, Jeanne Duval, la « Vénus noire », indomptable inspiratrice de Baudelaire et Edmond Albius, « l’enfant esclave de Bourbon, le marieur de fleurs » celui qui découvrit comment féconder artificiellement la vanille. Une trinité, tombée au champ d’honneur de la peinture, de la littérature et de l’économie, qui annonce l’entrée de la France dans le XXe siècle et au delà. Il est vain de discutailler sur la pertinence de ce choix. Comme dit le proverbe chinois, ce qui importe ici ce n’est pas le doigt du sage mais la direction indiquée.
Sympathie pour le fantôme est construit comme une polyphonie littéraire où alternent le journal intime, le pamphlet, la biographie, le récit de voyage, le roman… La langue y est tour à tour brutale, abrupte, drôle, jubilatoire. C’est Léon Bloy à la sauce Gnawa Diffusion ! Ou l’inverse.
Ce texte, littéraire en diable, offre aussi l’occasion d’évoquer Tokyo et le Japon, de réfléchir sur la marche du temps, les marchandages de la modernité où la littérature et le « souci de soi » sortent toujours perdants.
Mustapha Harzoune
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Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme, édition Gallimard, collection L’Infini, 2010, 259 pages, 17,90 €