3Présences, absences
« Laisser surgir l’absence : une enfance qu’on laisse derrière soi, un linge délavé, une langue oubliée, une photo jaunie, une identité dispersée, un parfum évaporé »
D’abord, pour partir, il faut se départir. De ce qui encombre, de ce qui alourdit, de ce qui semble inutile. Ne choisir que l’essentiel, l’utile, le nécessaire et peut-être, peut-être, un petit souvenir.
C’est dans un balluchon que l’ébauche de cette nouvelle vie doit rentrer, c’est dans une poche secrète qu’elle doit pouvoir se cacher, c’est dans la bouche qu’elle doit se taire.
Ensuite, il faut marcher la nuit, courir les dunes, prendre un bateau appelé esquif, dinghy ou kwassa-kwassa.
Il faut attendre longtemps, se cacher, revenir sur ses pas, jouer au chat et à la souris avec la police et les profiteurs, mais ceci n’est pas un jeu. Ceci est la grande transhumance humaine qui amène les êtres d’une naissance à un destin, d’un pays à une destination.
Ce chapitre rend compte des routes cruelles de la migration : des routes tangibles et documentées certes mais également de celles qui sont invisibles, effacées, intimes. Ce sont les objets et les lieux qu’on laisse derrière soi, c’est une frontière où traînent des sacs vides, c’est un bateau abandonné, ce sont des filets qui ressemblent à des linceuls, c’est le souffle de la nawa, ce vent qui ramène les cadavres vers les côtes.
Après le passage, il y a ce qui reste des cœurs et des liens : des lettres qui disent le chagrin de la séparation, des voix qui tentent de rattraper le temps comme d’autres comblent la distance.