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Début 1939, la République à son crépuscule accorde l’asile aux Espagnols pris dans un exode massif à la fin de la guerre civile, et aux réfugiés qui essaient d’échapper au pouvoir nazi.
En septembre, lorsque commence la guerre, les soldats coloniaux, les apatrides et les bénéficiaires du droit d’asile sont mobilisés. Des étrangers s’engagent aux côtés de la France quand d’autres, traités en ennemis ou en indésirables, sont internés.
L’effondrement militaire de 1940 provoque l’occupation d’une partie du territoire, et la chute de la République remplacée par le régime de Vichy. En quelques mois, l’ordre ancien est balayé. Vichy et l’occupant allemand imposent de nouvelles lignes de fracture.
Les droits des Français naturalisés sont amputés et leur condition est menacée. Une partition juridique sépare désormais radicalement Juifs et non-Juifs, dans le droit fil des discours antisémites des années 1930. Dès 1942, les nazis planifient et imposent l’extermination des Juifs dans l’Europe occupée. Vichy se fait le complice de ce crime, au nom de sa politique de collaboration, xénophobe et antisémite. Les rafles et les déportations, surtout celles des enfants, provoquent progressivement une prise de conscience dans l’opinion et conduisent à des actes de sauvetage.
En 1944, étrangers et colonisés, résistants ou mobilisés dans l’armée participent à la Libération. Dans le chaos qui suit la capitulation allemande, la France se trouve au cœur de déplacements massifs qui transforment le visage des migrations. L’Empire, lui aussi, évolue : l’Union française, créée en 1946, transforme le cadre institutionnel ; une série de soulèvements vient contester l’ordre colonial.
Avec le retour à la légalité républicaine, de nouveaux textes juridiques définissent les conditions d’accès à la nationalité, à l’entrée et au séjour des étrangers. L’État prend désormais en charge le recrutement de la main-d’œuvre étrangère, indispensable à la reconstruction.
Repères chronologiques
Mise-en-place d’une politique antisémite, qui exclut les Juifs de la nation : ordonnances allemandes en zone occupée ; pour le régime de Vichy, révision des naturalisations, création du statut des Juifs et abolition du décret Crémieux qui octroyait depuis 1870 la citoyenneté aux Juifs d’Algérie.
Décidée par les nazis, conduite par la police française, la rafle du Vel’ d’Hiv’ vise, pour l’essentiel, des Juifs apatrides et leurs enfants. Les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 personnes sont arrêtées : 3 031 hommes ; 5 802 femmes ; 4 051 enfants de moins de seize ans, presque tous français, livrés par Vichy sans avoir encore été réclamés par les nazis.
Après les Français, des étrangers sont requis pour le Service du travail obligatoire en Allemagne. L’occupant nazi recrute également, de gré ou de force, étrangers et coloniaux pour travailler en France dans des chantiers et des entreprises sous son contrôle.
Deux ordonnances du Gouvernement provisoire de la République redéfinissent les conditions de la nationalité, de l’entrée et du séjour des étrangers. Elles marquent le retour à la légalité républicaine en matière d’immigration et écartent, non sans débats, la sélection ethnique des migrants.
Le crépuscule républicain
Fin janvier 1939, en Espagne, la chute de Barcelone annonce la défaite républicaine et la victoire de Franco. S’ensuit un exode – la Retirada – qui conduit la France à ouvrir sa frontière. Plus de 475 000 réfugiés espagnols, civils et militaires, la franchissent en moins de trois semaines. Femmes et enfants sont évacués vers des centres d’hébergement. Les hommes, eux, sont internés dans des camps construits à la hâte, surveillés par l’armée et soumis à un régime d’une extrême rigueur.
En septembre, après son entrée en guerre contre le Reich, la France décide d’interner, en tant qu’« ennemis », les Allemands et les Autrichiens vivant sur son sol, y compris les réfugiés antinazis. Après de nombreuses libérations pendant l’hiver, les arrestations reprennent en mai, au moment de l’offensive allemande. Cette fois, elles visent aussi les femmes, jusque-là épargnées. Les camps se transforment en piège : la convention d’armistice de juin 1940 prévoit de livrer les réfugiés antinazis internés à la demande des autorités d’Occupation.
Étrangers et colonisés face à la guerre (1939-1940)
En septembre 1939, les soldats coloniaux, les apatrides comme les bénéficiaires du droit d’asile sont mobilisés. Des étrangers s’engagent dans la Légion étrangère. Polonais et Tchécoslovaques, dont le pays est occupé, rejoignent leur armée reconstituée en France. Parmi les civils, des réfugiés espagnols et de nombreux Italiens repartent dans leur pays.
Après l’armistice, les étrangers qui ont été faits prisonniers sont transférés en Allemagne. Les 70 000 captifs coloniaux subissent un sort à part, marqué par des violences raciales. Plusieurs centaines d’entre eux, à peine capturés, sont exécutés. Les autres restent internés en France dans vingt-deux Fronstalag.
Parcours de vie : Henri Radogowski, engagé volontaire polonais
Icek Herz Radogowski (1908-1991) naît dans une famille juive à Pabianiz, en Pologne. En 1937, il rejoint son frère et sa sœur installés à Argenteuil comme ouvriers tailleurs et prend le nom d’Henri. Le 27 novembre 1939, il s’engage dans l’armée polonaise en France, reconstituée sur le sol français après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, en tant que caporal-chef. Il rejoint le 3e régiment d’infanterie puis est capturé le 20 juin 1940 à Lunéville. Il reste interné au Stalag IX B jusqu’à sa libération par les Américains le 22 avril 1945.
À son retour à Argenteuil, Henri Radogowski apprend que son frère et sa sœur ont été déportés en février 1943 et assassinés. Il reprend son métier d’ouvrier tailleur, se marie et a une fille.
Persécutions et extermination
Dès 1940, Vichy et l’occupant nazi mettent en place, avec des instruments différents, des politiques antisémites. Elles se doublent, pour le régime de Pétain, de mesures xénophobes : internement des étrangers de « race juive », révision des naturalisations, travail forcé au sein des « groupements de travailleurs étrangers ».
À partir de 1942, la politique génocidaire des nazis vise tous les Juifs. Au nom de la collaboration, Vichy met la puissance de l’État au service de ce crime. Antisémite et xénophobe, le régime choisit de livrer en premier les apatrides, les étrangers et leurs enfants nés en France. Après l’invasion de la zone Sud, en novembre 1942, la répression frappe les Juifs sans aucune distinction de nationalité. Les étrangers, sacrifiés les premiers et moins bien insérés, sont les plus durement touchés : 40% des Juifs étrangers et 16% des Juifs français sont déportés et assassinés.
Le système d’internement
La République a ouvert les premiers camps. Vichy et l’occupant les multiplient à l’échelle du pays et en font un outil central de leurs politiques. De la zone Sud jusqu’en Algérie, l’internement marque la mise à l’écart de ceux que le régime de Pétain considère comme des ennemis intérieurs : Juifs étrangers, communistes. Pour l’occupant, les camps sont mis au service de la répression politique, de leur obsession sécuritaire et des persécutions raciales. Assignés à résidence par la République dès 1940, les Tsiganes subissent également, dans les deux zones, l’épreuve de l’internement.
Dénaturalisés
La loi du 22 juillet 1940 prévoit de réviser les naturalisations accordées depuis la loi de 1927. Près de 15 000 hommes et femmes, juifs ou non, perdent ainsi leur nationalité française. La plupart deviennent apatrides. Ceux qui exerçaient une profession réservée aux Français se retrouvent sans emploi. Pour les Juifs, la dénaturalisation augmente le risque d’être arrêtés car elle supprime la relative protection apportée par la nationalité française. Plusieurs centaines de Juifs dénaturalisés sont ainsi raflés et déportés vers les camps de la mort.
Spoliation
La spoliation des Juifs, leur expropriation de leurs entreprises (aryanisation), le marquage des commerces en zone occupée, les interdictions professionnelles et le travail forcé constituent des instruments majeurs de la politique antisémite. En privant les Juifs de revenus, donc de moyens de fuir ou de se cacher, ces mesures les rendent plus vulnérables face aux persécutions. Après leur fuite ou leur arrestation, le pillage total de leurs biens, même les plus ordinaires, contribue à effacer toute trace de leurs vies.
La rafle du billet vert
Le 14 mai 1941, à Paris, lors de la rafle dite « du billet vert » (en raison de la couleur du document administratif), 6 494 Juifs apatrides, tous des hommes, sont convoqués par la préfecture de police pour un « examen de situation ». 3 747 d’entre eux s’y rendent, parfois accompagnés ou rejoints par leur famille. Arrêtés sur place, les hommes sont transférés vers les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande (Loiret). Sur le terrain, Theodor Dannecker, chef du « service juif » de la Gestapo en France, supervise les opérations.
La rafle du Vel’ d’Hiv’
Les 16 et 17 juillet 1942, à Paris, 12 884 Juifs sont arrêtés par la police française : 3 031 hommes et 5 802 femmes, pour l’essentiel apatrides, et 4 051 enfants de moins de seize ans, presque tous français. Près de 5 000 adultes sans enfant sont emmenés au camp de Drancy. Les familles, détenues au Vélodrome d’hiver, y sont laissées sans soins et presque sans nourriture, avant d’être transférées dans le Loiret, puis séparées et déportées. Les adultes partent les premiers. Les enfants se retrouvent seuls, arrachés à leur famille, livrés par Vichy à l’occupant, puis à leur tour déportés. De la rafle, ne reste que cette image fantomatique des autobus alignés devant le vélodrome.
Rafles de zone Sud
Le 26 août 1942, en zone Sud, Vichy déclenche une rafle contre les Juifs apatrides : 6 600 hommes, femmes et enfants sont arrêtés. Au camp de Rivesaltes, Friedel Bohny-Reiter, qui travaille pour le Secours suisse, assiste au départ des convois de déportation et les photographie. Ce témoignage exceptionnel est consigné dans un album. Les textes des légendes sont écrits en deux temps, avec deux encres distinctes, sans doute au fur et à mesure que lui parviennent des informations.
Sauvetages, résistances et engagements militaires
L’engagement des étrangers et des coloniaux contre l’occupant emprunte toutes les voies du combat clandestin, mais il se manifeste surtout dans la lutte armée. Au sein de la Résistance, leurs choix politiques et nationaux les divisent parfois. Néanmoins, le combat contre l’ennemi commun est un facteur d’unité, qui les réunit et les rapproche des Français.
Les enrôlements militaires, au sein de la France libre comme dans l’armée régulière, construisent aussi une histoire partagée. Mais le courage des héros de l’Affiche rouge, des combattants espagnols de la 2e division blindée ou des soldats coloniaux de la 1re armée française ne suffit pas à dissiper la méfiance. Après la guerre, l’ordre colonial continue de s’imposer avec violence. L’intégration des étrangers se fait, mais en silence, sans reconnaissance des injustices subies dans les années 1930.
Solidarités et sauvetages
Après la défaite de 1940, rares sont ceux qui viennent au secours des persécutés. À Marseille, l’Américain Varian Fry fait sortir de France près de 2 000 personnes, Français et étrangers, parmi lesquels de nombreux artistes et intellectuels. Fin 1940, la Cimade, une association protestante de soutien aux réfugiés, s’installe dans le camp de Gurs pour aider les internés espagnols et les Juifs étrangers. Après les rafles de l’été 1942, des protestations solennelles s’élèvent, dans les églises et au sein de la Résistance. L’opinion s’émeut ; des filières de sauvetage sont mises en place pour cacher et protéger les Juifs, comme au Chambon-sur-Lignon.
Les résistants juifs et étrangers de l’Affiche rouge
En février 1944 se déroule le procès de vingt-trois résistants communistes des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée). Placés sous les ordres de Missak Manouchian, réfugié arménien arrivé en France en 1925, nombre d’entre eux sont étrangers. Après le procès, la propagande allemande fait placarder une affiche sur fond rouge, avec leurs visages, leurs origines et la liste des « attentats » commis, pour attiser la xénophobie de l’opinion, mais sans succès. Le 21 février, les condamnés sont fusillés au Mont-Valérien, à l’exception d’Olga Bancic, la seule femme du groupe, qui est décapitée, en Allemagne.
Soldats coloniaux
Des soldats de l’Empire rejoignent les combats de la France libre dès l’été 1940. Après le débarquement allié en Afrique du Nord en 1942, ces troupes s’illustrent en Tunisie, en Italie, en Corse, en Provence puis pendant la campagne de France. Ils sont 120 000, originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. D’autres soldats africains contribuent, avec la 2e division blindée, à la libération de Paris, sans pour autant être reconnus : fin 1944, 15 000 tirailleurs cèdent la place aux Forces françaises libres dans un « blanchiment » des troupes à visée militaire et surtout politique.
Solder la guerre
En mai 1945, l’Europe compte plus de 10 millions de déplacés victimes du nazisme. Pendant l’été, les Alliés les rapatrient en masse depuis les zones d’occupation. Ceux qui restent – environ 1 million – sont petit à petit réinstallés à travers le monde.
Au sortir de la guerre, une partie de l’Empire français se soulève et subit en retour une violente répression. L’Union française, créée en 1946, assouplit l’ordre impérial. Elle accorde aux populations colonisées une plus grande liberté de circulation et accompagne le démantèlement progressif du régime de l’indigénat. Néanmoins, les fondements inégalitaires de la domination coloniale demeurent.
Les ordonnances de 1945 sur la nationalité, l’entrée et le séjour des étrangers marquent, non sans hésitation, le retour à la légalité républicaine. Elles instaurent un statut des étrangers enfin stable et encadrent le recrutement d’une main-d’œuvre indispensable à la reconstruction.