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Les années 1970 voient une augmentation des agressions et des crimes racistes en France. À la suite de la crise provoquée par le choc pétrolier de 1973, le gouvernement français entend « maîtriser les flux migratoires» et décide de «suspendre » l’immigration de travail. De 1977 à 1981, alors que Valery Giscard d’Estaing est président de la République, les politiques migratoires se durcissent : recours accru aux expulsions ainsi qu’à l’«aide au retour», mise en place d’un régime de détention administrative, souhait de remplacer les immigrés par de la main-d’œuvre française féminine. La gauche, les syndicats, les Eglises comme certains partis de droite se mobilisent contre cette politique de retour forcé. Au même moment, dans le sillage de mai 1968 et des mobilisations anti-coloniales, se structure un mouvement de défense des droits des travailleurs immigrés. Les revendications sont diverses et nombreuses : dénonciation des crimes racistes, réforme du fonctionnement des foyers, accès à un logement décent, obtention d’un statut juridique stable, justice sociale dans les usines, représentation des immigrés dans les syndicats… Dans ces domaines, les victoires alternent avec des épisodes de répression et d’expulsion. À cette époque, la France accueille également de nombreux exilés politiques : Portugais fuyant les guerres coloniales, opposants aux dictatures d’Amérique du Sud ou boat people du Sud-Est asiatique.
Repères chronologiques
Un contrat de travail et un logement sont désormais nécessaires pour obtenir un titre de séjour (circulaires Marcellin-Fontanet). Premières mobilisations de sans-papiers, parfois sous forme de grève de la faim.
L’été et l’automne sont marqués par de nombreuses violences racistes, notamment dans la région de Marseille.
Le gouvernement dirigé par Jacques Chirac suspend l’immigration économique.
La France s’appuie sur le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU ainsi que sur les associations humanitaires pour accueillir des milliers de réfugiés du Vietnam, du Cambodge et du Laos.
L’arrêt Gisti du Conseil d’État élève le droit au regroupement familial au rang de « principe général du droit » et conclut que la famille regroupée a également droit au travail.
Les raisons complexes de l’arrêt de l’immigration de travail
Le 3 juillet 1974, le gouvernement dirigé par Jacques Chirac « suspend » l’immigration de travail. C’est une véritable rupture avec le modèle qui était en vigueur depuis l’après-guerre. L’argument invoqué est la nécessité de lutter contre la hausse du chômage qui s’accentue depuis le choc pétrolier de 1973. Mais d’autres facteurs ont joué : la hantise de l’explosion démographique du tiers-monde, la volonté de mettre fin à l’immigration algérienne, la crainte d’un nouveau mai 1968 qui mobiliserait les immigrés… En même temps qu’on met fin à l’immigration de travail légale, on s’accommode dans les faits d’une immigration illégale. La prime au retour est expérimentée dès 1977 : ce sont avant tout les immigrés déjà prêts à repartir qui s’en saisissent.
Le regroupement familial
Malgré la crise, certains secteurs continuent d’embaucher. Les demandes du patronat en faveur d’un assouplissement de l’arrêt de l’immigration de travail restent vaines.
L’immigration familiale, suspendue quelques mois entre 1974 et 1975, se poursuit. Le gouvernement souhaite interdire l’accès au travail des familles regroupées. Associations et syndicats saisissent le Conseil d’État qui érige le droit de mener une vie familiale normale en « principe général du droit » (arrêt Gisti du 8 décembre 1978), garantissant aussi le droit au travail pour les personnes concernées.
Mobilisation par les droits et pour les droits
La mort de cinq Maliens asphyxiés dans un foyer d’Aubervilliers dans la nuit du 31 décembre 1970 déclenche une série de mobilisations. Les grèves de la faim se multiplient dans les foyers, les quartiers et les églises, souvent soutenues par des intellectuels, des syndicats et des associations. Le début des années 1970 est également marqué par plusieurs grèves de travailleurs immigrés. Dans les usines, les revendications portent sur les salaires, les conditions de travail et l’accès au logement. Les syndicats ne soutiennent pas toujours ces mouvements. En 1980, la longue grève de la faim des travailleurs turcs du Sentier représente un jalon important dans la mobilisation des « sans-papiers » : fortement médiatisée, accompagnée de manifestations, elle conduit à la régularisation d’un nombre important de sans-papiers.
Les ouvriers immigrés de l’usine Peñarroya
Du 9 février au 13 mars 1972, à Lyon, l’usine du groupe Peñarroya (alors premier producteur mondial de plomb) est occupée par ses ouvriers, en majorité immigrés. Ils obtiennent une augmentation des salaires, une amélioration du suivi médical et de meilleures conditions de logement. L’année suivante, l’usine Renault de Boulogne-Billancourt est paralysée par des ouvriers immigrés dont le mot d’ordre est : « À travail égal, salaire égal ». Ils ont gain de cause : les travailleurs de l’usine bénéficient ensuite d’une grille salariale unique.
Faire grève
Les travailleurs immigrés se mobilisent. C’est ainsi qu’en 1972 est créé le Mouvement des travailleurs arabes (MTA). L’un de ses fondateurs, Saïd Bouziri, est frappé d’expulsion et mène une grève de la faim. Ce mouvement veut mettre le « travailleur immigré » au centre de la scène politique en organisant en 1973 une « grève générale contre le racisme ». Parti de Marseille, le mouvement s’étend à Paris et à d’autres villes. En butte à la répression policière ainsi qu’à l’hostilité des syndicats et du gouvernement algérien, le MTA s’éteint en 1976.
Les luttes des foyers
À partir de 1969, un mouvement de protestation secoue les foyers de travailleurs immigrés : il s’agit de dénoncer la cherté des loyers, les conditions de logement ainsi que la gestion autoritaire de ces lieux. À partir de 1973, les résidents des foyers Sonacotra (Société nationale de construction de logements de travailleurs) rejoignent la mobilisation. Elle culmine à l’automne 1979 après l’expulsion manu militari de 240 résidents d’un foyer Sonacotra de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise).
L’accueil de nouveaux réfugiés
Entre 1964 et 1979, la France accueille 15 000 exilés politiques d’Amérique latine (Brésiliens, Argentins, Uruguayens et surtout Chiliens). Près de 10 000 d’entre eux obtiennent un statut de réfugié délivré par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
De 1975 à 1989, avec le soutien des autorités comme d’intellectuels, la France accorde l’asile à près de 130 000 boat people du Sud-Est asiatique (Vietnamiens, Laotiens, Cambodgiens). Le pays recouvre ainsi son image de terre des droits de l’Homme mise à mal par les guerres de décolonisation. L’accueil réservé à ces réfugiés fuyant un régime communiste contraste avec la politique migratoire de l’époque, peu accueillante.
Parcours de vie : Cristina Diaz Vergara, une histoire de l’exil politique chilien
Au Chili, Cristina Diaz Vergara, née en 1945, participe à la fondation du premier syndicat des artisans d’art ainsi qu’aux mobilisations d’appui au gouvernement d’Unité populaire, présidé par Salvador Allende. Quelques mois après le coup d’État militaire du 11 septembre 1973, elle fait l’objet de menaces qui la contraignent à s’exiler en compagnie de son mari et de sa fille.
Grâce à un visa délivré par l’ambassade de France au Chili, la famille obtient le statut de réfugié politique. Elle s’installe à Lyon. En marge de son travail d’éducatrice spécialisée, Cristina Diaz Vergara milite pour la reconnaissance des droits des Amérindiens mapuche.
Parcours de vie : Tran Dung-Nghi, une famille vietnamienne exilée
Née en 1963, Tran Dung-Nghi est issue d’une famille originaire du nord du Vietnam qui a migré vers le sud en 1954, après Diên Biên Phu. Cette bataille au cours de laquelle l’armée française est défaite signe la fin de la guerre d’Indochine et ouvre la voie de l’indépendance. Nord et Sud Vietnam continuent cependant de s’affronter sur fond de guerre froide.
En 1966, la famille s’installe à Saïgon (capitale du Sud). Quand, le 30 avril 1975, la ville tombe aux mains de l’armée populaire vietnamienne, les Tran fuient à bord d’un bateau danois en partance pour Hong Kong puis arrivent le 14 juillet 1975 en France. Après un séjour en foyer, ils s’installent en Seine-et-Marne. Tran Dung-Nghi poursuit ses études et fonde, en 1991, l’Association des jeunes vietnamiens de Paris afin de tisser un lien entre ses deux cultures.
Les exilés portugais
Principalement économique, l’immigration portugaise comporte aussi une forte dimension politique. Exilés en France, les opposants au régime de Salazar développent associations, journaux, organisations politiques et troupes de théâtre. Le 25 avril 1974, le régime est renversé par la révolution des Œillets. La chanson Grândola, Vila Morena de Zeca Afonso, enregistrée en France en 1971 par deux musiciens exilés, devient l’hymne de la révolution.
Rixes et attentats xénophobes
Au début des années 1970, des violences xénophobes, attisées par des groupuscules d’extrême droite, se multiplient contre les Maghrébins. L’affaire Djellali Ben Ali, un adolescent assassiné par un gardien d’immeuble en octobre 1971, marque l’opinion. En novembre 1971, la France finit par ratifier la Convention internationale de 1965 contre les discriminations raciales. La loi du 1er juillet 1972 (loi Pleven) crée un délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales. Elle punit le dépositaire de l’autorité publique qui refuse « sciemment » un droit légitime sur des critères raciaux ou religieux. Les associations peuvent désormais se porter partie civile. Cette loi est cependant peu appliquée dans la mesure où il est souvent difficile de prouver qu’une discrimination est intentionnelle.
Marseille, épicentre des assassinats racistes
Les violences à l’encontre des « Arabes » culminent à Marseille au cours de l’été et de l’automne 1973. Le 25 août, un traminot est assassiné par un déséquilibré algérien. Les appels à la « ratonnade » (expédition punitive) se multiplient. En un mois, douze Maghrébins sont victimes d’attentats dans la région : leurs agresseurs obtiennent pour la plupart un non-lieu. Le 14 décembre 1973, un attentat contre le consulat d’Algérie fait quatre morts. Il est revendiqué par le club Charles-Martel, composé de défenseurs de l’Algérie française.
Article : "Immigrations : les luttes s’affichent !", Hommes & migrations N°1330 juillet-septembre 2020 Accéder à l'article en ligne