La sélection du Prix littéraire de la Porte Dorée 2011
Blues pour Élise de Léonora Miano, Plon.
Dans le cinquième roman de Léonora Miano qui se déroule à Paris, tous les personnages ont des "visages d’ambre et d’ébène". Le sous-titre, "Séquences afropéennes. Saison 1", annonce la structure, entre le recueil de nouvelles et la série télé. Pas de clandestins ni d’arnaque aux allocations familiales dans ce roman, tient à préciser l’auteure, mais de jeunes Françaises aux racines subsahariennes, les "Bigger than life". Amies depuis la fac, elles travaillent, aiment les fringues et se battent avec leurs cheveux, s’interrogent sur leurs histoires d’amour et se dorlotent à la soul therapy.
Dans ces chroniques urbaines, Léonora Miano évoque les relations difficiles entre Carabéens et Subsahariens, la fragilité des hommes noirs et les espoirs soulevés par l’élection de Barack Obama, dans une langue musicale et hybride qui bruisse de camerounismes, créolismes et autres trouvailles.
Samba pour la France de Delphine Coulin, Seuil
Samba Cissé, jeune Malien de 30 ans, vit depuis plus de dix ans en France en acceptant les boulots les plus ingrats. Sûr d’avoir droit à une carte de séjour, il se présente spontanément à la Préfecture. Erreur ! On l’envoie dans le centre de rétention de Vincennes. Il en sort libre, mais avec une obligation de quitter le territoire français. Il tombera donc dans l’illégalité en ayant recours à l'usurpation d'identité. Si l'on peut lire son histoire, c'est parce qu'une bénévole de la Cimade, la narratrice, en a rassemblé les bribes.
Pas de pathos ni de misérabilisme dans ce roman qui évoque pourtant les violences qui ont contraint à l’exil l’oncle Lamouna ainsi que les Congolais Jonas et Gracieuse. On plonge dans les pratiques des boîtes d'intérim, on voit la jeunesse qui fout le camp à toute allure avec les travaux de force. On partage aussi des moments de bonheur et de solidarité.
La Mecque-Phuket de Saphia Azzeddine, Éditions Léo Scheer
"La Mecque-Phuket" n’est pas une liaison aérienne de la compagnie Emirates, mais le choix auquel se trouvent confrontées Fairouz, la narratrice, et sa sœur Kalsoum : offrir à leurs parents le pèlerinage que tout musulman doit faire, ou se payer toutes les deux des vacances en Thaïlande. Fairouz vit dans la banlieue parisienne avec ses parents immigrés marocains, son jeune frère et ses deux sœurs. Etudiante à Paris, elle navigue entre les valeurs que sa famille lui a transmises et le désir de s’en affranchir.
Elle semble en bagarre permanente : contre le conformisme social de ses parents, contre les ragots de la cité, les dérives de son frère trop choyé, la naïveté de sa petite sœur, le regard des médias sur les banlieues, l’école qui ne valorise pas assez la culture arabe... Un roman offensif et positif, qui manie avec légèreté ironie et autodérision pour décrire les tiraillements des jeunes issus de l’immigration.
Celles qui attendent de Fatou Diome, Flammarion
Sur une île du Sénégal, la pêche n'est plus rentable depuis que les chalutiers occidentaux viennent piller les ressources locales et bien rares sont ceux qui décrochent un diplôme. Alors, beaucoup de jeunes gens "se jettent dans l'Atlantique". Parmi "ces forcenés de l'exil", nous ne suivons que Lamine et Issa, et encore, pas dans leurs galères en Europe, mais – et c'est toute l'originalité de ce roman - à travers les rares nouvelles qui parviennent à "celles qui attendent " : leurs mères, Arame et Bougra, qui les ont encouragés à partir, et leurs toutes jeunes épouses, Daba et Coumba. L'inquiétude et les doutes font place à l'espoir au fil des années, alourdies encore par la rivalité des coépouses et la solitude des brus.
Ainsi se jouent, sur l'autre rive, les conséquences de l'exil. Alors l'Europe, un mirage? Fatou Diome se garde bien de trancher, d'autant que Lamine reviendra au pays avec de quoi construire une maison et sortir sa famille de la misère. Mais à quel prix ?
Danbé d’Aya Cissoko & Marie Desplechin, Calmann-Lévy
Une "enfance soyeuse", sans un sou, mais où rien ne manque. On joue encore dans la rue à Ménilmontant au début des années 80. D’origine malienne, Aya vit alors avec ses parents, ses deux frères et sa sœur dans 20 mètres carrés rue Tlemcen, à Paris. En 1986, l’immeuble prend feu : à 8 ans, Aya perd son père et sa petite sœur. La mère refuse de se plier à l’avis du conseil des Pères : elle ne retournera pas au Mali. Commence alors une vie sombre dans la cité Bonnier du XXe arrondissement, "une prison mentale" où rôde la délinquance.
Mais Massiré, la mère, "contrôle drastiquement" tous les mouvements de ses enfants et leur apprend à "respecter le danbé", mot malinké qui signifie "dignité". La découverte de la boxe, les championnats remportés, même si perdre est "un piment", l’aide de "figures lumineuses", la construction d’une culture métissée et assumée font du destin d’Aya une histoire qui donne plein d’espoir, sans jamais se donner en exemple. Marie Desplechin a su trouver le ton juste pour porter la voix d’Aya.
Dès que tu meurs, appelle-moi de Brigitte Paulino-Neto, Verticales
Dans le milieu de l'immigration portugaise, une fille raconte son amour fasciné pour sa mère. Ce roman commence par l'enfance de la mère, Faustine, au milieu des années trente. Règne alors sur elle et sur sa sœur aînée leur père Antonio de Sousa Amen, qui, débarqué à Rouen à 17 ans du sud du Portugal, fait déjà figure de notable. Il ne s'agit pas d'une success story pour autant. Dominent plutôt l'austérité et la violence. L'austérité des villages portugais quand la famille s'y replie pendant la guerre. La violence de l'inceste qui menace au retour dans Rouen dévasté par les bombardements, et plus tard, dans les années soixante, dans les baraquements de banlieue où vivent les immigrés portugais avec l'espoir de rentrer au pays, fortune faite.
La traversée du siècle se poursuit au Portugal avec l'émancipation de Faustine à la fin de la dictature de Salazar, sous le regard de sa fille. Un livre dense aux phrases sinueuses pour décrire les relations intenses et troublantes d'une fille et sa mère.
Amours et aventures de Sindbad le Marin de Salim Bachi, Gallimard
Par la grâce de ce roman, Sindbad le Marin renaît sous les traits d'un jeune homme aventureux de l'Algérie d'aujourd'hui, où "les gamins fabriquent des radeaux pour mourir en mer". C’est à un étrange vieillard témoin de toutes les violences du monde, le Dormant, qu'il raconte son périple. Parti comme harraga de "Carthago" (Alger) sous "Chafouin 1er", il est interné dans un camp de réfugiés à Gozo, dans "l'Italie du Golem". Mais ce Sindbad moderne assoiffé de voyages et d'amour parvient à poursuivre ses pérégrinations en se réconfortant dans les bras des femmes.
Il s'attarde à Rome et dans le monde confiné de la Villa Médicis, à Florence, à Paris, capitale de la "république de Kaposi", continue vers la Libye, la Syrie… Partout il pose avec humour un regard acéré sur la bêtise et l'inculture des temps modernes, avec des salves assassines contre la prolifération des touristes, la toute-puissance d'internet et l'abandon de la lecture. Salim Bachi mêle les contes et les références, adopte tous les styles. Même le plus comique, quand Sindbad croise Robinson, Sénégalais immigré, victime comme lui de "l'enfer des indépendances ratées".
Sympathie pour le fantôme de Michaël Ferrier, "L’Infini", Gallimard
Michaël, le narrateur, enseigne la littérature à l’Université du Centre à Tokyo et anime une émission culturelle sur la France à la télé japonaise. Au même moment, l’Université s’enflamme autour d’un colloque sur l’identité française et la chaîne Tokyo Time Table s’agite pour une émission spéciale sur le même thème. À la faculté, le jeune professeur n’a guère son mot à dire, mais il adore épingler le "mandarinat institutionnalisé", spécialiste du recyclage et du rabâchage. En revanche, à la télévision, il a carte blanche pour "présenter la France sous un jour nouveau".
Soutenu par la productrice de l’émission, la séduisante Yoko, il prend ses distances par rapport au récit officiel, pour sortir des "cales" trois personnages occultés : Ambroise Vollard, le marchand d’art réunionnais découvreur de Cézanne, Van Gogh et Picasso ; Jeanne Duval, la "Vénus noire" muse de Baudelaire, et Edmond Albius, enfant esclave qui à 12 ans découvrit le secret de la fécondation de la vanille. Sympathie pour le fantôme mêle allègrement les genres : biographie, pamphlet, journal intime et carnet de voyage pour une évocation sensuelle du Japon. Et des Japonaises.